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Forum>The Doors>Pensez vous que Jim Morrison est un poète au sens noble du terme ???
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deepfan
9 Jul 2019, 23:08
En parlant de livre, j'en ai un qui s'intéresse rien qu'à sa poésie et ses écrits. Il y a une courte biographie et le reste analyse ses poèmes. Beaucoup doivent déjà le connaitre mais pour ceux que ça intéresse, c'est
Le dernier poème du dernier poète de Tracey Simpson
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Sister Mid'nite


10 Jul 2019, 1:36
Ah je l'ai oublié celui-là. Il est sur ma liste depuis 10 ans au moins. Je vais aller l'acheter prochainement. Merci deepfan pour le rappel.
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Sister Mid'nite


10 Jul 2019, 8:11
Troisième partie


Motivation & motif

Les premières expériences de Morrison avec la poésie et la prose en 1964, montrent un étudiant intellectuellement ambitieux et fortement influencé par le philosophe allemand Friedrich Nietzsche et les idées du français Antonin Artaud sur l'esthétique, la philosophie, la vie et le cinéma.

Ses premiers écrits sont la base sur laquelle il va développer son style poétique. Tous les motifs, symboles et images introduits dans son premier recueil de poèmes sont récurrents tout au long de ses œuvres ultérieures.

"Seigneurs et nouvelles créatures" a été conçu comme deux livres distincts, mais il a été publié comme un livre contenant les idées et la poésie de Morrison. Essentiellement, il s'agit "d'un forum" pour affiner un style. La première moitié du livre "Les Seigneurs : Notes sur une vision" est un recueil de notes et de poèmes en prose, tandis que la deuxième partie, "Nouvelles créatures" est un ensemble de poèmes.


"Seigneurs" est une œuvre hétéroclite d'idées en prose, vaguement liée aux thèmes de la mort, du cinéma et à la réinterprétation de la théorie des mythes et du théâtre. Bien que l'originalité est rare et l'idéalisme naïf très présent, ce recueil est intéressant pour la présentation des idées philosophiques et esthétiques de Morrison. D'un point de vue stylistique, "Seigneurs" reflète une imagerie sombre et une propension à l'auto-mythologie, qui deviendront des caractéristiques fondamentales de sa poésie et de ses performances.

Les thèmes qui imprègnent tout son univers poétique sont: la ville, le sexe, la mort, les assassins, les voyeurs, les vagabonds, le désert, le chamanisme, etc. La psyché de Morrison et ses perceptions de l'environnement ont crée un univers mythologique. Les références autobiographiques et historiques que l'on découvre dans ses poèmes reflètent ce processus de transformation du monde réel en un monde imaginaire.


Sa propre vie donne le ton et les scénarios des poèmes. Son enfance itinérante à travers les USA, combinée à son choix de carrière dans la musique, lui a permis de s'identifier à l'image du vagabond. Il s'agit d'une figure qu'il utilise dans ses poèmes, ayant évidemment un attrait symbolique et poétique, ainsi qu'une signification personnelle. Comme il l'a suggéré en parlant de lui-même et des autres : "Nous sommes comme des acteurs, lâchés dans ce monde pour errer à la recherche d'un fantôme, à la recherche sans fin d'une ombre à demi formée de notre réalité perdue."


Sa poésie, cependant, est très ancrée dans des lieux. Un fort pouvoir d'observation se retrouve dans les évocations de villes et d'endroits insolites. Sa vision de Los Angeles ou de l'Amérique est puissante dans son ressenti. Morrison est fasciné par la ville où il vit et joue avec les doors : "Los Angeles est une ville à la recherche d'un rituel pour unir ses fragments."


Au début, la démarche artistique de Morrison se réalisait à travers "un théâtre musical" utilisant des principes chamaniques dans le but de rassembler son public et fournir un rituel pour la ville. Quand cela échoua, il utilisa sa poésie comme un rituel qui allait rassembler les fragments de sa propre expérience existentielle.

Comme TS Eliot dans le poème "La Terre vaine", la poésie de Morrison est le moyen par lequel il peut donner un sens à son monde intérieur et se prémunir contre sa mortalité artistique.

Cependant, comme toujours dans ses poèmes, il y a un sentiment de cynisme envers lui-même et envers le lecteur. Comme si ses souffrances et ses sacrifices, faits au nom de l’art et de la liberté d'expression, n’étaient pas pour lui-même, mais pour vous, le lecteur :


Les mots guérissent.

Les mots m’ont blessé
et me guériront

Si vous le croyez.

Ce passage tiré de son poème au titre absurde, "Lamentation pour la mort de ma bite", reflète le pessimisme et l'idéalisme poétique de Morrison.
Ce message a été modifé par Sister Mid'nite (11 Jul 2019, 10:55)Citer
Sister Mid'nite


11 Jul 2019, 10:45
Quatrième partie




Le sens de la souffrance se retrouve également dans "Seigneurs", en relation avec l'idée de sacrifice pour le bien de tous : "Quel sacrifice, à quel prix la ville peut-elle naître ?".

La prise de conscience précoce par Morrison des maux de la société et son sens de la responsabilité sociale lui ont permis d'avoir une expérience personnelle intense et de condamner les idéaux dominants de la société américaine.

En particulier, le rêve occidental (western dream), tel qu'il l'exprime dans son invocation apocalyptique d'un monde nouveau:

"Les doors sont de l'Ouest. Le monde que nous suggérons devrait être un nouvel Ouest sauvage, un monde sensuel, maléfique, étrange et envoûtant."

Avec sa propre expérience, Morrison commence "Seigneurs" en s'adressant au lecteur de façon rhétorique, comme s'il révélait une certaine vérité sur l'existence moderne. Sa vision de la ville est celle d'un environnement dystopique (c'est une interprétation de la condition américaine et de toutes les civilisations modernes).

Il voit la ville en termes modernistes et symbolistes. La métropole comme le reflet métaphorique de la société :

"Nous vivons tous dans la ville.

La ville forme - souvent physiquement, mais inévitablement psychiquement - un cercle. Un jeu. Un anneau de mort avec le sexe en son centre.

Conduire jusqu'à l'extrêmité. Au bout, découvrir des zones de vice sophistiqué et d'ennui, de prostitution enfantine. Mais dans l'anneau crasseux qui entoure le quartier des affaires diurne se trouve la seule foule vivante de notre monticule, la seule vie de rue, la vie nocturne. Des spécimens malades dans des hôtels miteux, des pensions minables, des bars, des prêteurs sur gages, des boîtes douteuses et des bordels, dans la lumière mortifère qui ne meure jamais, dans les rues et dans les rues des cinémas exclusivement nocturnes."

Si T.S. Eliot dans "La terre vaine" s'inspirait de Baudelaire "ville en réchauffement, ville pleine de rêves, où les fantômes en plein jour prennent la manche du promeneur", Morrison se rapproche plus de la vision de Rimbaud:

"Ô ville douloureuse ! Ô ville devenue muette
Tête et cœur étendus dans la pâleur
Dans les portes sans fin jonchées par le temps
Ville, le passé démesuré ne peut que bénir : "Corps galvanisé pour les souffrances à venir."

La ville vue par Morrison est aussi surréaliste. Son écriture juxtapose des images vivantes, des symboles et des métaphores de la conscience humaine. La ville apparaît comme un lieu où les expériences de sensualité et de tolérance abondent et où nait la vie et l'art. Mais c'est aussi le lieu des malaises et des tensions, une source inquiétante de maladie et de mort. Ce lieu de binarité complexe est une source pour décrire des personnages insolites et des expériences malsaines.

Les valeurs de la société américaine et leurs effets sur la culture et le peuple américain est l'une des principales thématiques de "Seigneurs".

"Les Seigneurs. Des événements se produisent au-delà de notre connaissance ou de notre contrôle. Nos vies sont vécues pour nous. Nous ne pouvons qu'essayer d'asservir les autres. Mais progressivement, des perceptions particulières se développent. L'idée des "Seigneurs" commence à se former dans certains esprits. Nous devrions les enrôler dans des groupes de voyants pour parcourir le labyrinthe pendant les mystérieuses apparitions nocturnes. Les Seigneurs ont des entrées secrètes, et ils connaissent les déguisements. Mais ils se trahissent eux-mêmes par des faits sans importance. Trop d'éclat de lumière dans l'œil. Un mauvais geste. Un regard trop appuyé et curieux.

Les Seigneurs nous apaisent avec des images. Ils nous donnent des livres, des concerts, des galeries, des spectacles, des cinémas. Surtout des cinémas. A travers l'art, ils nous confondent et nous rendent aveugle à notre esclavage. L'art orne les murs de nos prisons, nous garde silencieux, divertis et indifférents.

Porte ouverte sur l'autre côté, l'âme se libère et s'élance".
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Sister Mid'nite


12 Jul 2019, 8:07
Cinquième partie


Philosophie, poésie et Amérique


Pour décoder la poésie de Morrison, nous devons connaître la philosophie qui sous-tend le sens, le symbolisme, l'imagerie et le thème.


Cette philosophie est principalement nietzschéenne. Morrison développe des variations de la pensée de Nietzsche sur la nature humaine et l'esthétisme pour la mettre en corrélation avec sa propre expérience. En d'autres termes, le système philosophique qui sous-tend la signification de sa poésie n'est pas vraiment un système fixe en tant que tel.


Dans "Personne ne sortira d'ici vivant", les auteurs attestent que Morrison "a dévoré Friedrich Nietzsche, le philosophe allemand dont les vues sur l'esthétique, la morale et la dualité apollonienne-dionysiaque apparaissent continuellement dans les conversations, poèmes, chansons et vie de Jim".

John Densmore a écrit dans ses mémoires "Les cavaliers de l'orage" que "Nietzsche a tué Jim Morrison.... Morrison le Superman, le fou dionysiaque, la naissance de la tragédie personnifiée".

Ray Manzarek se souvient lui aussi de "promenades sur les plages de Venice pour discuter avec Morrison de la naissance de la tragédie chez Nietzsche".

Dans une interview accordée au journaliste Richard Goldstein, Morrison lui-même suggère de lire Nietzsche et particulièrement la nature de la tragédie pour comprendre où il en était réellement. Ses yeux brillent lorsqu'il se lance dans une discussion sur la lutte apollinienne et dionysiaque pour le contrôle de la force vitale.


Nietzsche, Artaud, Blake, Rimbaud sont les principales sources philosophiques et artistiques qui se manifestent dans les paroles et les actions de Morrison. Il soude leurs pensées à sa vision personnelle du monde contemporain.

Utilisant des symboles quotidiens de l'existence moderne, comme la télévision ou le cinéma, il l'associe au sujet philosophique et existentiel intemporel de la vie:

"L'attrait du cinéma réside dans la peur de la mort".

Combiné aux excès d'une époque où les stimulants, le sexe et la révolution culturelle sont la norme, il est compréhensible qu'il ait eu tendance à adopter un ton nihiliste aux accents borderline comme dans ces vers d’"Une prière américaine":

Nous vivons, nous mourons
& la mort n’arrête rien

Nous poursuivons notre voyage dans le cauchemar

Nous cherchons à atteindre la mort
au bout d'une bougie

Nous essayons de trouver quelque chose
qui nous a déjà trouvés

Connaissez-vous la pâleur et les frissons impudiques
de la mort qui vient à l’improviste à une heure étrange
comme un invité effrayant et trop amical
qu’on aurait pris dans son lit

La mort fait de nous tous des anges
et nous donne des ailes
où nous avions les épaules
lisses comme des serres de corbeaux




En même temps, et paradoxalement, un optimisme implacable se répand. Toujours dans "Une prière américaine", le poète demande que la vie soit vivifiée et rendue sensuelle en s’éloignant d’un présent chaotique, malade du matérialisme et de la guerre, pour se plonger dans un passé mythique plein de sens :


Réinventons les dieux,
Les mythes de tous les siècles

Célébrons les symboles des profondes forêts anciennes

(Avez-vous oublié les leçons des guerres antiques)

Nous avons besoin de grandes copulations dorées



Dans ses ultimes textes, son écriture est concise, profonde et limpide dans son expression. Mais la dépression obscurcit des pensées qui reflètent honnêtement son état physique et mental. L'esprit de conquête a fait place à la résignation, au pessimisme.

Un poème comme « Si seulement je » exprime sur un mode existentialiste une confession très courante chez d’autres écrivains de cette époque. Il déplore la perte de lui-même, puis l’illusion de la notion de soi.

La désillusion de Jim Morrison à l'égard de la vie est telle qu'il ne peut même pas se sentir capable de déterminer lui-même la validité de sa propre existence :

Si seulement je pouvais sentir
Le son des moineaux
Et ressentir l’enfance
Revivre encore une fois


Si seulement je pouvais sentir
que je me retire
encore une fois
et me sentir embrassé
par la réalité
encore une fois

Je mourrais
volontiers
Ce message a été modifé par Sister Mid'nite (2 Aoû 2019, 11:37)Citer
Sister Mid'nite


16 Jul 2019, 7:05
Sixième partie



Morrison s'est engagé à explorer les abîmes de sa personnalité. Cette exploration était finalement destructrice. C'était la recherche d'un idéal, la distance entre un humain ordinaire et le "surhomme" de Nietzsche. Ce dernier exprime ses sentiments dans le poème "Fuyons les beaux rêves"

« Fuyons les beaux rêves
Le passé fuit, c'est le passé ...

Je n'ai jamais connu
La joie et le bonheur de vivre.

Je regarde tristement en arrière
Sur des temps qui ont disparu depuis longtemps...

Je ne sais pas ce que je crois
Ou pourquoi je suis encore en vie. Pour quoi faire ?

Je voudrais mourir, mourir, mourir »



Le fait que la mort de Morrison pourrait être due à une overdose d'héroïne (l'aboutissement d'un excès autodestructeur), donne au poème susmentionné et à ses poèmes précédents une signification autobiographique.

Prophétiquement, dans ses premiers écrits, "Les Seigneurs", il parle de la mort et du jeu :

« Quand jouer meurt, ça devient le Jeu.
Quand le sexe meurt, il devient Orgasme.

Tous les jeux contiennent l'idée de la mort... »


« Jeu de cartes.

Solitaire caressant les cartes.
Il se donna lui-même une main.
Tourner les images du passé dans d’incessantes permutations, couper et recommencer.
De nouveau trier les images. Et les trier encore.
Ce jeu révèle des germes de vérité et de mort »


Cette conception de la mort reflète (comme dans son poème "Si seulement je") une croyance dans le sacrifice et la détresse ultime de l'artiste auquel Morrison s'est identifié.

Le sexe est le lien avec le monde physique peuplé de joueurs. L'amour est une expérience émotionnelle qui conduit à une mort métaphorique de soi, dans l'acte du coït et de l'orgasme.

Le déni de soi est la conséquence de ne pas expérimenter le vide ou l'abîme qui nous habite. Comme Morrison le dit lui-même avec emphase et une pointe d'ironie: "L'amour est l'un des rares moyens d'éviter le vide, pour ainsi dire."

Le sentiment d'isolement de Morrison est complet et la performance est sa seule grâce salvatrice. C'est une reconnaissance de la nature solipsiste du poète, des sacrifices à faire, de la douleur psychologique de donner naissance à un nouveau soi :

« Urgence d’en finir avec l' "Extérieur" en l’absorbant, en l'intériorisant. Je ne sortirai pas, vous devez entrer en moi. Dans mon jardin-matrice d’où je regarde. D’où je peux construire un univers à l'intérieur de mon crâne pour rivaliser avec le réel. »


Comme la métaphore de "Ainsi parlait Zarathustra" de Nietzsche, la matrice est un symbole de la terre, le lieu où, comme une fleur ou un homme en argile, le surhomme est né. Le "surhomme" est un but que nous sommes capables d'atteindre par la destruction du vieux soi ou de la réalité. C'est un idéal qui fait partie intégrante du projet existentiel de Morrison et du mythe américain selon lequel l'autodestruction engendre l'illumination, la transcendance du moi culturel contre la nature. Cette destruction créatrice est également évidente dans la vie d'autres figures littéraires américaines comme Jack Kerouac, William Burroughs et Hart Crane.


Un autre lien intéressant avec Nietzsche est l'utilisation par Morrison de la métaphore du jardin/jardin d'Eden, comme une sorte de lieu/état d'être organique intériorisé, ou de représentation symbolique du génie intellectuel ou créatif. Dans "L'aube du jour", Nietzsche établit un parallèle très similaire entre le penseur et la figure allégorique terrestre du jardinier et du jardin :

« Des jours humides et lugubres, de la solitude, des paroles sans amour adressées à nous, les conclusions grandissent en nous comme un champignon : un matin elles sont là, nous ne savons pas comment, et elles nous regardent, moroses et grises. Malheur au penseur qui n'est pas le jardinier mais seulement le sol des plantes qui poussent en lui ! »




Les thèmes du pouvoir et de la violence dans "Seigneurs et nouvelles créatures" faisaient partie de l'aspect sombre des années 60. Les paroles des chansons de Morrison, qui parlent autant de la mort que de l'amour, sont associées à la fin d'une époque. Avec la guerre du Vietnam, les protestations des droits civiques et les assassinats, la mort des hippies naïfs était imminente.

Morrison lui-même résume les raisons pour lesquelles les choses ont changé :

« C'est différent maintenant. Il semblait possible de générer un mouvement - des gens se levant et se rassemblant dans une manifestation de masse - refusant d'être réprimés plus longtemps - comme s'ils avaient tous mis leurs forces ensemble pour briser ce que Blake appelle "les menottes forgées par l'esprit"... Les temps de l'amour sont révolus. Bien sûr, il est possible qu'il y ait une transcendance, mais pas au niveau de la masse, pas d'une rébellion universelle. Maintenant, elle doit avoir lieu à un niveau individuel, chacun pour soi, comme on dit, sauve-toi toi-même. La violence n'est pas toujours maléfique. Ce qui est mauvais, c'est l'engouement pour la violence.»


La fin des années 1960 a été marquée par la passion du corps sur l'esprit, du pervers sur le normal, des risques d'une destruction de modes d'existence. Interrogé sur son opinion sur le climat social de l'Amérique à la fin des années 1960, Morrison a résumé les sentiments d'une génération et les effets du changement culturel sur la nation : « Je pense que pour beaucoup de gens, surtout les citadins, c'est un état de paranoïa constante. La paranoïa est définie comme une peur irrationnelle, mais que faire si la paranoïa est réelle ? Alors tu survis seconde par seconde.»

En tant que poète de cette époque, et en tant que personne ayant une conscience sociale sensible, Morrison fait en sorte que ses poèmes reflètent l'âge et le lieu dans lesquels il écrit. Pourtant, il le fait d'une manière qui fait qu'un événement d'actualité semble intemporel dans son langage métaphorique. Dans "Les Seigneurs", ce qui est peut-être une simple interprétation des meurtres sauvages de Charles Manson et de ses partisans se transforme en une image archétype du pouvoir de la violence. Leur capture dans la Vallée de la Mort en Californie, caché dans des grottes après les meurtres, en attendant le début de leur guerre raciale apocalyptique, se reflète dans la perception qu'a Morrison des événements médiatiques de son époque :


« Il faut un gros meurtre pour tourner les rochers à l'ombre et exposer d'étranges vers en dessous. La vie de nos fous mécontents sont révélés.»


Dans d'autres poèmes, nous reconnaissons d'autres événements importants de l'histoire culturelle et politique américaine.

Dans « Les bains, les bars, la piscine intérieure. Notre chef blessé est allongé sur le carrelage » nous pouvons trouver une référence à la mort de Brian Jones qui s'est noyé dans une piscine.
L'assassinat de Kennedy est mentionné : « Les cercles modernes de l'enfer : Oswald ( ?) tue le Président » et indirectement le Vietnam et « les gens accablés par les événements historiques ou mourant dans un mauvais paysage ».

Plus ces références sont retournées, comme des « roches à l'ombre », plus la profondeur et la signification du sens révélé dans le vers sont grandes.
Ce message a été modifé par Sister Mid'nite (29 Jul 2019, 1:59)Citer
Sister Mid'nite


18 Jul 2019, 2:18
Septième partie



Contrairement aux "Seigneurs", "Nouvelles Créatures" révèle l'existence cauchemardesque de créatures soumises. L'imagerie violente et la nature surréaliste des textes de "Nouvelles Créatures" créent un recueil de poésie désorganisé et chaotique qui semble ne pas avoir de motif ou de logique apparente.

Le contenu est très subjectif et étranger à l'univers de la majorité des lecteurs. Certaines allusions et images sont familières dans leur généralité, mais inutiles dans l'apparente obscurité et juxtaposition. Le contenu personnel des poèmes rend malheureusement la plupart d'entre eux inaccessibles dans leur interprétation métaphorique et symbolique de la psyché de Morrison. Certains poèmes présentent une interaction entre les mots et les images qui sera reprise dans des chansons interprétées avec les doors :


Ensenada
Le phoque mort
Crucifix de chien
Fantômes de carcasses de voitures soleil.
Arrête la voiture.
Pluie. Nuit.
Sentir




La plupart des poèmes de "Nouvelles Créatures" n'ont semble-t-il aucun lien entre eux. Morrison commente des formes d'art comme le cinéma, sa poésie étant profondément cinématographique dans son style et son effet.

Il affirme, en se référant à l'idée d'un art reflétant la conscience, qu'il était "intéressé par le cinéma parce que, pour moi, c'est la plus proche que nous avons du flux réel de la conscience".

De nombreux poèmes de Morrison sont comme des extraits de films d'un cinéma d'avant-garde surréaliste. Sa technique de juxtaposition d'idées et de points de vue sur le monde a une qualité intellectuelle, mais aussi une qualité onirique. Tout comme les techniques de manipulation de la foule qu'il a utilisée lors de certains concerts, Morrison utilise la pause pour produire un effet, mais pas dans le sens grammatical. Au lieu d'une césure, de points d'ellipse ou d'une nouvelle ligne (qu'il utilise également pour réaliser), il utilise une image comme une barrière à surmonter, à percer :


Destin féroce
Fille nue vue de derrière
Sur la route de campagne
Amis, explorant le labyrinthe
Film
Jeune femme laissée dans le désert
Une ville devenue folle de fièvre



Cette pause, cette rupture dans le flux ou le sujet (dans ce cas le labyrinthe métaphorique) rend le vers comme une série d'images staccato plutôt que comme un flux progressif d'idées et de mots. En d'autres termes, la structure du poème essaie de reproduire la logique irrationnelle du flux de conscience.

Souvent, ces poèmes ressemblent à des peintures abstraites de scènes violentes et bizarres, donnant au lecteur une idée de l'état d'ébriété qui prévaut dans la vie alcoolique et toxicomanogène de Morrison.

Lire certains des poèmes de Morrison, c'est comme lire des notes que quelqu'un a prises lors d'un voyage au LSD. C'est ce que pas mal d'entre eux seraient en réalité. Dans l'intonation, les visions, les états de conscience et les images hallucinatoires, le tout aboutissant à une contemplation unique du monde.

Sa technique cinématographique de juxtaposition d'images imite également les effets d'une expérience psychédélique, qui pourrait aussi être interprétée comme une expérience du monde de Morrison et des années 60 elles-mêmes.

La poésie est à l'origine de la plupart des expériences de Morrison. La poésie a inspiré et vocalisé son amour du visuel cinématographique, de la performance et du lyrisme musical. Il exprimait aussi ses pensées, philosophies et croyances les plus profondes ; c'était un moyen de relayer son monde, qui s'approchait de la destruction. Dans "La nuit américaine", son poème "Une prière américaine" fait écho au "Rameau d'or" de Frazer et aux philosophies d'Artaud et de Nietzsche. Dans sa complainte, Morrison appelle à la compréhension, à un consensus sur le fait que la technologie et le soi-disant progrès ne sont pas nécessairement meilleurs ou plus excitants que le passé mythiquement imprégné:


Réinventons les dieux, tous les mythes des siècles
Célébrons les symboles, les profondes forêts anciennes

Nous nous sommes assemblés dans ce théâtre antique dément
Pour propager notre rage de vivre
Et fuir la sagesse grouillante des rues

J’en ai assez des visages austères
Qui me fixent du haut de la tour de télévision
Je veux des roses dans la tonnelle de mon jardin.
Pigé ?



En ce sens, son attitude à l'égard de la modernité est méprisante, semblable à la perception d'une civilisation occidentale disparue exprimée par T.S Eliot dans "La terre vaine".

Tout au long de ses poèmes, Morrison est constamment opposé à la télévision, presque comme s'il la considérait comme responsable du déclin de la société contemporaine. C'est paradoxal dans la mesure où il soutient avec véhémence une vision du monde à travers l'œil du cinéaste et l'objectif de la caméra.

En dehors de cet aspect cinématographique qui s'inscrit dans la continuité de ses premières œuvres, de l'utilisation constante d'images sombres et violentes et de l'allusion à une philosophie et à un art sublimes, il n'y a pas un seul aspect unificateur dans la poésie de son œuvre.

Il y a parfois un élément d'autobiographie subtilement placé dans les symboles et motifs associés au chanteur principal des doors :


Veste en peau de serpent
Yeux d'Indien
Cheveux brillants
Il se déplace en dérangé
Insecte du Nil
Air
Ce message a été modifé par Sister Mid'nite (2 Aoû 2019, 8:25)Citer
Sister Mid'nite


19 Jul 2019, 8:17
Huitième partie


Dans "Nouvelles Créatures", les références à ses vêtements, ses visions indiennes, sa coiffure et ses danses chamaniques abondent.


Morrison partage aussi sa vision du lecteur :

"Vous êtes le lecteur en route pour le voyage ; nous sommes les seigneurs, les illuminés, ceux qui peuvent voir l'étendue sauvage"...


"Tu te pavanes dans la douceur de l'été
Nous regardons pourrir ton fusil insatiable
Tes terres incultes
Ton vide grouillant
Des pâles forêts au bord de la lumière
déclinent.

Encore plus de tes miracles
Encore plus de tes bras magiques"



Morrison nous invite dans son univers, mais le lecteur est toujours tenu à distance :

"Vous êtes perdus maintenant, nous sommes encore ceux qui peuvent voir ce que le lecteur ne peut pas voir."



Dans la section suivante du poème, nous découvrons l'état du monde et des terriens. Un monde exotique se dévoile avec des rites et des coutumes tout droit sortis de "Le rameau d'or" de James Frazer :


"Nourriture amère dans des pâturages malades
Tristesse animale et brutalité de l'ennui
Sur le divan.
Forcer les rideaux de fer.
Le tracé du soleil implique
poussière, couteaux, voix.

Appelle des terres sauvages
Appelle de la fièvre, reçois
les rêves de foutre d'un roi aztèque"



Le soleil se définit dans un contexte. Il pourrait être une référence à l'Est, la terre du soleil levant, mais lorsque l'on brise le Rideau de fer on découvre la tyrannie stalinienne.

Sa place dans le désert implique des qualités immémoriales et coutumières de sens. Le roi aztèque apporte une nouvelle dimension au soleil. Des peuples amérindiens sacrifiaient des humains pour renforcer le voyage quotidien du soleil dans le ciel.



Les personnages de ces poèmes sont des créatures d'un monde cauchemardesque. Ce n'est qu'en réalisant que les créatures sont faites pour être nous les humains modernes, que les fragments de la société, qui sont présentés comme un miroir de nous-mêmes, deviennent familiers.

Robert Duncan, poète contemporain de Morrison, dans un passage qui rappelle le credo du Réveil de Morrison et la conséquence paradoxale de ses croyances, résume peut-être mieux le sens et la raison d'être du poète pour créer un tel monde :

"C'est dans le rêve même que nous semblons entièrement créés, sans imagination, comme touchés par une légende contée par un conteur qui n'est pas comme nous. (...) Nous ne pouvons pas nous échapper du rêve à moins de nous réveiller, comme nous ne pouvons échapper aux termes de notre réalité vivante sans mourir."


Plus tard, devenu un écrivain plus mature, Morrison a tenté de se réveiller de sa propre réalité vivante. Il était devenu très conscient de la naïveté de ses premières œuvres et a reconnu les limites de son expérience :

"Je pense que dans l'art, mais surtout dans le cinéma, les gens essaient de confirmer leur propre existence. D'une certaine façon, les choses semblent plus réelles si elles peuvent être photographiées et si vous pouvez créer un semblant de vie à l'écran. Ce sont des petits aphorismes qui composent les poèmes de "Seigneurs". Si j'avais pu le dire autrement, je l'aurais fait. Je les voulais consistants. J'en prends quelques-uns au sérieux. J'ai fait la plupart de ce livre quand j'étais à l'école de cinéma à l'UCLA. C'était vraiment une thèse sur l'esthétique cinématographique. Je n'étais pas capable de faire des films à l'époque, alors tout ce que j'ai pu faire, c'est de les imaginer et de les décrire. Ces écrits reflètent probablement cela. Beaucoup de passages, par exemple sur le chamanisme, se sont révélés très prophétiques parce que je n'avais aucune idée quand je les ai écrit, que c'était exactement ce que je ferai..."
Ce message a été modifé par Sister Mid'nite (31 Jul 2019, 8:27)Citer
Sister Mid'nite


23 Jul 2019, 15:43
Neuvième partie


Essais et tradition



Après la publication de "Les portes de la perception" d'Aldous Huxley et la nouvelle popularité de "Le mariage du Ciel et l'Enfer" de William Blake, des poètes et des artistes des sixties ont entrepris des expérimentations radicales. Morrison fut l'un de ceux-ci, en s'inspirant du dicton de Blake selon lequel "le chemin de l'excès mène au palais de la sagesse". Il inonda ses sens de stimulants afin d'accéder aux visions du chaman (un aspect de l'idéal esthétique de Morrison concernant le rôle du poète-interprète).

Cette figure du chaman était également plus ou moins liée à son compatriote américain, le chaman indien. Morrison se voyait comme un poète universel et surtout comme un Américain, en termes de lignage d'unité :


"Comme nos ancêtres
Les Indiens
Nous partageons une peur du sexe
Une lamentation excessive pour les morts
Un intérêt constant pour les rêves et les visions"



Cependant, la vision de Morrison d'un chaman différait quelque peu de celle d'un Amérindien :

"Le chaman ... était un homme qui s'enivrait. Vous voyez, c'était probablement déjà un individu... inhabituel. Et, il se mettait en transe en dansant, en tourbillonnant, en buvant, en buvant, en prenant de la drogue, tout ce qu'il pouvait. Puis, il partait en voyage mental et... décrivait son voyage au reste de la tribu."


L'idéal de Morrison est saturé de valeurs et de croyances américaines "blanches". Celles-ci ont plus invoqué la lutte du bien et du mal plutôt que la chasser par un rite magique transcendantal. La combinaison de rites chamaniques traditionnels et de dictons du poète anglais William Blake sur le sens des excès a été le cocktail qui a produit tantôt l'autodestruction tantôt une poésie claire ou obscure.

Morrison a décrit l'association entre le chaman et la figure du poète dans une forme poétque :


"Dans la séance, le chaman menait.
Une panique sensuelle,
délibérément évoquée par la drogue, les chants, la danse,
jette le chaman dans la transe.

La voix a changé, mouvement convulsif.

Il agit comme un fou."



L'intérêt que Morrison portait au chamanisme était commun à d'autres poètes de l'époque, mais chacun avait des opinions différentes qui représentaient une époque de croyances diverses, souvent exotiques. Par exemple, Jérôme Rothenberg, poète et critique des années 60 et 70, a encouragé une poésie chamanique, où le chant primitif prend le pas sur la littérature anglophone. Cependant, Rothenberg ne voulait pas s'approprier le chamanisme et ce qu'il appelait la " fable de l'ascendant ". Il ne voulait pas non plus avoir à faire avec les gens qui le pratiquaient :


"Les fantômes des vieillards
surgiront à nouveau

Dans les villes fantômes
ils conduiront une caravane à travers le pays

Dieux nus à poitrine nue
de ni l'un ni l'autre matin

Chaman serpent dans ton dernier royaume
quitte ma maison en paix"


Dans ce poème, Rothenberg adopte le ton résigné d'un homme plein de sagesse.


La vision du chaman par Morrison est l'antithèse de celle de Rothenberg :


"La fille noire commence à saigner.
C'est le paradis catholique.

J'ai un ancien crucifix indien autour de mon cou.

Ma poitrine est dure et marron.

Allongé sur un lit
des draps tâchés et misérables avec une Vierge sanguinolente.

On pourrait planifier un meurtre,
ou commencer une religion."


Dans une lettre à Robert Creeley (un autre poète américain bien connu de cette époque), Rothenberg résume bien les principes de l'image de la profondeur, qui s'appliquent bien au style de Morrison et expriment également leurs préoccupations stylistiques communes :


"Le poème est le récit d'un mouvement de la perception à la vision. La forme poétique est le modèle de ce mouvement à travers l'espace et le temps.
L'image de la profondeur est le contenu de la vision qui émerge du poème. Le véhicule du mouvement est l'imagination. La condition du mouvement est la liberté."


L'idée que la perception peut être modifiée et la conscience élargie était un principe central des Beats et de Morrison.


L'idée a été explicitée dans une lettre du poète français Arthur Rimbaud lorsqu'il écrit:

"Je veux être poète et je travaille à me rendre Voyant. Il s'agit d'arriver à l'inconnu par le dérèglement de tous les sens. La première étude de l'homme qui veut être un poète est la complète connaissance de lui-même. Il cherche son âme, l'inspecte, la teste, l'apprend.
Dès qu'il le sait, il doit le cultiver ! Cela semble simple : dans tous les esprits un développement naturel a lieu ; tant d'égoïstes se disent auteurs, il y en a beaucoup d'autres qui s'attribuent leur progrès intellectuel à eux-mêmes !
Mais l'âme doit être rendue monstrueuse : à la manière des comprachicos (trafiquants d'enfants qui les mutilent pour les exposer en monstres), si vous voulez ! Imaginez un homme implantant et cultivant des verrues sur son visage."

Charles Baudelaire dans "Le voyage" va dans la même direction:

"Le feu qui brûle nos cerveaux, pour plonger dans les profondeurs de l'abîme, l'Enfer ou le Ciel, quelle importance cela a-t-il ? Dans les profondeurs de l'inconnu pour trouver quelque chose de nouveau."


Le projet artistique de Rimbaud s'avère déterminant sur la sensibilité de Morrison et sur sa conception du poète-voyant.
Ce message a été modifé par Sister Mid'nite (2 Aoû 2019, 10:12)Citer
Sister Mid'nite


24 Jul 2019, 12:49
Dixième partie


Par rapport à sa performance scénique, qui porte autant sur ses expériences hors scène que sur sa poésie, Morrison explique :

"C'est une recherche, l'ouverture d'une porte après l'autre. Notre travail, notre interprétation, est une recherche de métamorphose. Pour l'instant, on s'intéresse plus au côté obscur de la vie, au mal, à la nuit qui vient. Mais à travers notre musique, nous nous efforçons, nous essayons d'entrer dans un monde plus propre et plus libre.

Notre musique et nos personnalités dévoilées dans nos performances sont toujours dans un état de chaos et de désordre, avec peut-être un élément de pureté qui pointe. Récemment, quand on s'est produit en concert, tout ça a commencé à fusionner."


Dans la lignée esthétique et messianique de Blake et Nietzsche, Morrison parvient à donner à sa quête une saveur particulière grâce à l'utilisation du folklore indigène et de symboles, ce qui rend son oeuvre typiquement américaine.

Morrison reconnaissait qu'il était un produit et l'incarnation d'une époque violente. A un moment, il s'est retrouvé à un carrefour dans la voie qu'il poursuivait et c'est comme si il avait choisi de détruire tout ce qu'il avait voulu incarner.

Un poème tel que "Ouragan et Eclipse" témoigne d'une profonde lassitude :


"J'aimerais qu'une tempête
vienne et chasse cette merde
et je n'aurais plus rien à faire.

Ou une bombe pour
brûler la Ville
et récurer la mer.

Je souhaiterais que la mort propre vienne à moi."



Lorsqu'il affirme son désir de mourir, il est difficile de le voir comme un simple désir de mourir au sens figuré. On a plutôt l'impression qu'il le conçoit comme un devoir du poète-chaman qui doit se sacrifier pour sauver la tribu. Comme il l'avait déjà dit dans une interview, tout le voyage vers la mort n'était pas entièrement de sa volonté, bien qu'il ait porté le rôle du martyr comme une couronne :


"Je ne suis pas sûr que ce soit le salut que les gens veulent ou que je les conduise vers le salut. Le chaman est un guérisseur, comme le sorcier-docteur. Je ne vois pas les gens se tourner vers moi pour ça. Je ne me vois pas comme un sauveur...

Le chaman est semblable au bouc émissaire. Je vois le rôle de l'artiste comme chaman et bouc émissaire. Les gens projettent leurs fantasmes sur lui et leurs fantasmes prennent vie. Les gens peuvent détruire leurs fantasmes en le détruisant.

J'obéis aux impulsions de chacun, mais je ne veux pas l'admettre. En m'attaquant, en me punissant, ils peuvent se sentir soulagés de ces impulsions."
Ce message a été modifé par Sister Mid'nite (24 Jul 2019, 13:02)Citer
WTMO


24 Jul 2019, 14:29
C'est complexe Sister mais tellement passionnant, je viens de lire tes textes et je réfléchis, mal, en écoutant les Doors. A une période de ma vie, j'étais fasciné par les poèmes et la vie d'Arthur Rimbaud. J'ai longtemps vécu à Charleville-Mézières et je n'ai jamais étudié ce poète au cours de mes études au collège A. Rimbaud ou au lycée ! Trop compliqué pour des petits cons comme nous, devaient se dire nos chers professeurs.
Toujours est-il qu'aujourd'hui, j'ai compris que ma vie ne devait pas se résumer à voir des psys et à gober des médocs mais à suivre mon instinct et faire ce que j'aime, mais je suis hors sujet...
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Nico


25 Jul 2019, 0:58
Non Seb, on est en plein dans le thème !
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Sister Mid'nite


25 Jul 2019, 15:41
Onzième partie


L'influence du style


Dans son livre "The Living Theatre: Art, Exile, and Outrage", l’historien de la littérature américaine et spécialiste de la Beat generation John Tytell se souvient de Morrison et de son ami Michael McClure participant aux représentations de Paradise Now avec la Living Theatre Company. Morrison a vu toutes les représentations à Los Angeles et a suivi la compagnie jusqu'à San Francisco. Il se rappelle que Morrison a offert une aide financière à la troupe de théâtre, tant son engagement envers l'art était grand.

Tytell a constaté que Morrison avait des convictions politiques et artistiques et qu’il était solidaire envers la communauté des artistes underground:

« Morrison, qui avait lu Artaud et Ginsberg à l'université, se considérait comme un personnage révolutionnaire. Reconnaissant que la répression était le principal fléau social en Amérique et la cause d'un mal-être général, il était une personnalité typique des secteurs de soutien au Living Theatre. Sa longue chanson d'improvisation « When the music's over » est une déclaration fondamentale d'apocalypse. Comme dans Paradise Now, Morrison déclare : « Nous voulons le monde et nous le voulons maintenant ! » » 




Antonin Artaud a décrit les motifs de ses pièces dans son manifeste « Le théâtre et la cruauté » comme « érotisme, sauvagerie, soif de sang, soif de violence, obsession de l'horreur, effondrement des valeurs morales, hypocrisie sociale, mensonge, sadisme, peste, maladie et dépravation ».

En lisant la poésie de Morrison, on a l'impression qu'il s'agit d'un catalogue des mêmes thèmes et sujets.

Morrison a lu les idées d'Antonin Artaud et les a vues interprétées par The Living Theatre Company, ce qui a affecté ses propres performances avec les doors.


L’influence d'Artaud sur le style d'écriture de Morrison est aussi très importante. En utilisant une versification libre et en juxtaposant des images violentes avec des symboles archétypaux pour créer un sens cauchemardesque de la réalité, la poésie d'Artaud offre beaucoup de similarité avec celle de Morrison.

Dans un passage où Artaud décrit ce que le surréalisme signifie pour lui, nous trouvons une description presque exacte de la perspective de Morrison sur l'art et la performance :

« Le surréalisme n'a jamais été autre chose qu'une nouvelle sorte de magie pour moi. L'imagination et les rêves, toute cette libération intense de l'inconscient qui a pour but de faire affleurer à la surface de l'âme ce qu'elle a l'habitude de cacher, doit nécessairement introduire de profondes transformations dans l'échelle des apparences, dans la valeur de signification et le symbolisme du créé. Le concret change complètement de vêture, d'écorce et ne s'applique plus aux mêmes gestes mentaux. L'au-delà, l'invisible, repoussent la réalité. Le monde ne tient plus. C'est alors qu'on peut commencer à cribler les fantômes et arrêter les faux semblants. »

Morrison:

« J’offre des images, je conjure des souvenirs de liberté que l'on peut encore atteindre… comme les doors, non ?

Mais on ne peut qu'ouvrir les portes, on ne peut pas faire passer les gens. Je ne peux pas les libérer à moins qu'ils ne veuillent être libres, plus que tout au monde... Peut-être que les peuples primitifs ont moins de conneries à laisser tomber, à abandonner. Une personne doit être prête à tout abandonner, pas seulement la richesse. Toutes les conneries qu'on lui a apprises, tout le lavage de cerveau de la société. Il faut lâcher tout ça pour aller de l'autre côté. La plupart des gens ne sont pas prêts à le faire.

Disons que je testais les limites de la réalité. J'étais curieux de voir ce qui allait se passer. C'est tout ce que c'était : de la curiosité. »



L'utilisation par Ginsberg de l'épigraphe de Whitman, précédant son poème "Howl", va dans le même sens que cette image des portes par Morrison :

"Dévissez les serrures des portes !
Dévissez les portes elles-mêmes de leurs jambages !"


Dans son recueil de poèmes "Feuilles d'herbe", Walt Whitman déclare ses valeurs : le moi sacré, une Amérique égalitaire, l’immortalité de l'âme. Il est un précurseur et le modèle du sens du devoir pour beaucoup de poètes américains afin qu’ils élargissent leur propre conscience et celle de leur pays. Morrison s'est probablement inspiré autant de l'adoption par Ginsberg du principe poétique symbolique de Whitman que du dicton de Blake dans « Le mariage du Ciel et de l’Enfer » selon lequel « si les portes de la perception étaient nettoyées, tout apparaîtrait à l'homme tel qu'il est, infini ».

Les doors, comme titre de son groupe et comme symbole de la recherche de Morrison pour l'illumination, était la preuve de sa connaissance et de l’utilisation des symboles, mais aussi de sa conscience d'une tradition dans les signes et de leurs qualités résonnantes en littérature.
Ce message a été modifé par Sister Mid'nite (31 Jul 2019, 7:30)Citer
Sister Mid'nite


25 Jul 2019, 15:53
Citation de WTMO :
C'est complexe Sister mais tellement passionnant, je viens de lire tes textes et je réfléchis, mal, en écoutant les Doors. A une période de ma vie, j'étais fasciné par les poèmes et la vie d'Arthur Rimbaud.
Toujours est-il qu'aujourd'hui, j'ai compris que ma vie ne devait pas se résumer à voir des psys et à gober des médocs mais à suivre mon instinct et faire ce que j'aime, mais je suis hors sujet...


Ta réaction me fait très plaisir !!! J'ai souvent pu le constater pour moi-même, la solution est toujours en soi...
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Sister Mid'nite


28 Jul 2019, 13:22
Douzième partie



Pour Morrison écrire c'est créer son propre monde, voyager dans l'inconnu, exposer une philosophie du rebelle pour s'évader de l'autre côté, où tout est spontané et sans assurance, sauf l'immortalité.

Son travail n'est pas tant une quête vers des univers inconnus ou de la spiritualité, mais plutôt une immersion dans son propre être, une recherche de l'essence du moi et de la nation.

Morrison:

« L’Amérique a été conçue dans la violence. Les Américains sont attirés par la violence. Ils s'attachent à la violence. Ils sont hypnotisés par la télévision, la télévision est le bouclier protecteur invisible contre la réalité nue.

La maladie de la culture au XXe siècle est son incapacité à ressentir la réalité. Les gens se regroupent autour de la télévision, des feuilletons, des films, du théâtre, des idoles pop et ils ont des émotions sur des symboles.

Mais dans la réalité de leur propre vie, ils sont émotionnellement morts...

Nous craignons moins la violence que nos propres sentiments. La douleur personnelle, solitaire est plus terrifiante que ce que n'importe qui d'autre peut nous infliger. »



Le style pastiche de « La terre vaine » de T.S Eliot combiné à la perception brute de l'Amérique de Ginsberg dans "Howl" ont servi de modèle structurel aux longs poèmes de Morrison, comme « American prayer », qui se concentre sur des aspects de la société et ses imperfections en termes de paysage psychologique.

Au sens figuré ou métaphorique, les meilleurs poèmes prennent une profondeur multicouche remplie d'allusions, d'images, d'ambiances et de sens qui sont soit sublimes, soit déconcertantes. Ils peuvent faire naître un sentiment de malaise ou de confusion.

Cette poésie est malheureusement fragmentée, mais le lecteur ne doit pas oublier l'âge chaotique et expérimental dans lequel elle a été écrite.



Morrison choisit des symboles androgynes et des figures métaphoriques pour exprimer la mutabilité et la temporalité de son époque, comme dans les paroles de sa chanson « Riders on the Storm » dans son dernier album avec les doors.

« Riders on the Storm » est une métaphore pour ceux-là, comme le personnage du seigneur, qui est un dieu à part entière, chevauchant la tempête des expériences violentes et faisant des incursions tumultueuses dans le mal.

Cette chanson fait écho à deux textes de poètes romantiques anglais et américains dont les vies étaient similaires, tout comme le style et le sujet de leurs vers.

Le poème de William Cowper « Dieu se déplace d'une manière mystérieuse », appelle les saints à faire confiance à la tempête, car c'est Dieu qui l'a faite, c'est lui qui chevauche la tempête :

Dieu se déplace d'une manière mystérieuse
Pour accomplir ses merveilles
Il plante ses pas dans la mer,
Et chevauche la tempête


L'autre texte est « Prière pour une urne » de Hart Crane, un poète américain romantique qui, avec sa soif de vie et d'expérience, a inspiré les Beats. Il s’est suicidé à l’âge de 33 ans. Cet acte a placé Hart Crane dans un courant artistique où l'art rencontre la vie avec des résultats fatales, au-delà de l’esthétisme des mots.

Dans ce poème, les cavaliers sont ces mots fragiles qui chevauchent les tempêtes tumultueuses de l'esprit et des émotions. C'est un poème sur les rites funéraires, sur un ami sur le point d'être incinéré :

« Ses pensées, qui m'ont été livrées
Du couvre-lit et de l'oreiller blancs,

Je vois maintenant, les héritages étaient
Les délicats cavaliers de la tempête. »


Les mots pour le poème dans le poème sont hérités de la personne dont il écrit l'épitaphe. Tout comme les derniers poèmes de Morrison, ce sont des moments personnels et des pensées partagées par quelqu'un dont l'esprit était en ébullition et qui a peut-être chuchoté pour obtenir de l'aide. Conscient que ces mots, sur le point d'être jetés au crématorium avec le cadavre de son ami, ont une profondeur douce-amère difficile à égaler dans d'autres poèmes, il se rend compte qu' « ils ne sont pas des trophées du soleil ».

L'utilisation que Morrison fait des cavaliers dans la tempête est différente dans ses implications, mais montre la conscience d'un motif romantique et d'une tradition subséquente. Son cavalier est le poète, le vagabond, « comme un chien sans os / un acteur sans rôle », et pas la version romantique des orfèvre des mots que sont William Cowper et Hart Crane.

La version du cavalier de Morrison ressemble plus au chevalier de Stephen Crane dans « Les chevaliers noirs et autres vers » :

« Les cavaliers noirs venaient de la mer.
Il y eut un bruit et un bruit de lance et de bouclier,
Et les chocs des sabots et des talons,
Les cris sauvages et la vague de cheveux

Dans la ruée vers le vent :
Voilà la chevauchée du péché. »
Ce message a été modifé par Sister Mid'nite (31 Jul 2019, 11:50)Citer
Sister Mid'nite


29 Jul 2019, 8:00
Conclusion



James Douglas Morrison meurt à Paris le 3 juillet 1971 à l'âge de 27 ans et est inhumé au cimetière Pere-Lachaise, aux côtés de ses héros littéraires tels Oscar Wilde, Charles Baudelaire et Paul Verlaine.


Paris était un monde idéal pour Morrison, un monde aussi idéal que sa conception du poète ; c'était un endroit pour être un poète et pas une icône de la pop américaine. C'est sans doute là que Morrison écrivit sa meilleure poésie (ses vers regorgent de paysages américains, d'histoire, de philosophie et d'allusions littéraires).

Cependant, c'était un endroit où il se sentait seul, déprimé et, finalement, suicidaire, ce qui se reflète dans ses poèmes. Le résultat aurait pu être différent si Morrison n'avait tenu compte que des paroles de Nietzsche :

" Dès qu'une philosophie commence à croire en elle-même (...) elle crée toujours le monde à son image ; elle ne peut faire autrement ; la philosophie est cette impulsion tyrannique, la volonté de puissance, la volonté de "création du monde", la volonté de la cause première".


Morrison n'a pas pu échapper aux conséquences inévitables de son idéalisme.


Tout comme Jim Morrison et the doors constituent une part importante de la culture musicale américaine, la poésie de Jim Morrison constitue également un chapitre unique et influent de la littérature américaine. Il était un poète dans tous les sens du terme. Plutôt que d'écrire sur l'expérience, il se soumettait d'abord à cette expérience, physiquement, psychologiquement ou chimiquement, avant de l'écrire.

Morrison s'est transformé au cours de sa courte vie, à travers une série de rites de passage complets. Il a exploré des œuvres littéraires et musicales, expérimenter différents types de drogues, a multiplié les expériences sexuelles et s'est isolé...

L'élément crucial était que quoi qu'il arrive, c'était toujours une expérience intense. Il cherchait méthodiquement une transformation et un réveil par des rituels et l'ivresse, et il était assez honnête pour l'écrire pour que tous puissent le lire :


"Pourquoi je bois ?
Pour que je puisse écrire de la poésie.

Parfois, quand tout s'effondre et qu'il n'y a plus rien à faire
et tout ce qui est laid s'estompe dans un sommeil profond

Il y a un réveil
et tout ce qui reste est vrai.

Alors que le corps est ravagé
l'esprit devient plus fort.

Pardonnez-moi, mon père, car je sais
ce que je fais.

Je veux entendre le dernier poème
du dernier poète."


Morrison considérait la poésie comme une forme d'art utilisée pour repousser les limites de la réalité et les limites imposées par le conformisme. Les concerts des doors étaient célèbres pour l'utilisation de la poésie dionysiaque de Jim et pour pousser leur public dans un état d'abandon et de transcendance. Plus que le pouvoir des mots pour élever les gens et changer leur vie, il voyait aussi la poésie comme un moyen de perpétuer l'histoire et l'art.

Pour que le lecteur puisse voir Morrison comme un poète talentueux, avec un style clairement défini, nous devons lire son œuvre comme une poème, plutôt que comme une étrange relique d'un dieu du rock mort.


Ce qui suit est le prologue de la collection posthume des poèmes de James Douglas Morrison, "Wilderness" :

"Je suis un peu accro au jeu de l'art et de la littérature ; mes héros sont des artistes et des écrivains... J'ai écrit quelques poèmes, bien sûr... la vraie poésie ne dit rien, elle ne fait qu'offrir des possibilités, ouvrir toutes les portes. Vous pouvez vous promener où cela vous convient...c'est pourquoi la poésie me plaît tant, parce qu'elle est éternelle.

Tant qu'il y a des gens, ils peuvent se souvenir de mots et des combinaisons de mots. Rien d'autre ne peut survivre à un holocauste que la poésie et les chansons. Personne ne se souvient d'un roman entier... mais tant qu'il y aura des êtres humains, les chansons et la poésie vivront. Si ma poésie visait un but, c'est de délivrer les gens de la manière limitée dont ils voient et ressentent les choses."


Comme on peut le constater, Morrison avait un projet artistique clair qui allait guider tous ses actes durant sa vie. Ce lien fait de Morrison la figure engagée d'un authentique poète.

La question de savoir si Morrison sera un jour reconnu comme un poète par les instances officielles, plutôt que comme une idole pop, dépendra en grande partie du temps et de l'attention critique que l'on portera à sa poésie. Son idée que "rien d'autre ne peut survivre à un holocauste que la poésie et les chansons" pourrait peut-être être changée, en substituant le mot "temps" à "holocauste".

Dans un siècle, les critiques littéraires considéreront le XXe siècle comme une période de changement littéraire et de diversité, sans égal dans l'histoire. Leur intérêt pour les différents mouvements et figures de la littérature américaine des années 60 et 70 sera tempéré par les préjugés et les préférences de leur époque. Les historiens littéraires chercheront des exemples d'une époque où l'expérience littéraire et sociale était à son apogée. Morrison se démarquera comme un poète qui a représenté une époque où les écrivains expérimentaient la drogue, le langage, la forme, la philosophie, la musique, le théâtre et la révolution sociale.

C'était une époque semblable à l'époque de la Révolution française, mais avec les caractéristiques relatives à l'Amérique des années 60 et 70.

Les héros de cette époque se distinguent par leur radicalisme qui en dit certainement plus que les voix de poètes conventionnels et officiellement reconnus.

Après tout, les héros de Morrison tels que Rimbaud, Artaud, Blake et Van Gogh sont des exemples d'artistes visionnaires, jugés indignes à leur époque, aujourd'hui considérés comme des génies. De même, on dira la même chose d'un poète comme Morrison, dont l'œuvre n'est pas moins importante ou méritoire que celle des poètes officiellement considérés comme tel à son époque.
Ce message a été modifé par Sister Mid'nite (29 Jul 2019, 12:18)Citer
jimborrison


29 Jul 2019, 9:25
Super boulot Sister, respect!
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Sister Mid'nite


30 Jul 2019, 1:47
Citation de jimborrison :
Super boulot Sister, respect!



Merci !!! J'avais un peu de temps libre en juillet et j'en ai profité pour traduire ce texte que j'ai découvert il y a quelques mois. Mais comme il est très long ça demande beaucoup de concentration pour rester cohérent. Mais j'estime que ça valait le coup...
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Nico


2 Aoû 2019, 5:13
Super ! Merci !
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Miami 69


3 Aoû 2019, 6:05
Ton dévouement pour mieux faire connaitre Morrison me laisse sans voix.
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Sister Mid'nite


3 Aoû 2019, 9:09
Citation de Nico :
Super ! Merci !



Tu avais crée ce topic et il mérite d'être alimenté.
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Sister Mid'nite


3 Aoû 2019, 9:12
Citation de Miami 69 :
Ton dévouement pour mieux faire connaitre Morrison me laisse sans voix.



Aaaah la vérité c’est qu’après 10 pages je me suis posée des questions sur le temps passé à faire ça…
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Miami 69


3 Aoû 2019, 11:16
Et alors qu’est-ce qui t’as motivée à continuer ?
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Sister Mid'nite


3 Aoû 2019, 12:16
la glooooiiiiire, la popularité et me taper des admirateurs
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Miami 69


3 Aoû 2019, 12:27
je m’associe aux compliments et pour te remercier je suis prêt à t’offrir la réédition de the soft parade
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