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Forum>The Doors>Témoignage de Joan Didion
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Geoffrey


14 Aoû 2015, 3:31
C'est le mois d'août, saison des lectures sur la plage. Je lis '"l'Amérique" de Joan Didion. Didion est romancière, essayiste, journaliste et scénariste et le bouquin est une "plongée en immersion au coeur du quartier hippie de San Francisco", mais de toute évidence, elle fait un passage par Los Angeles. Témoignage intéressant pour nous, car Didion n'est ni fan des Doors, ni fan de Morrison et décrit avec une distance appréciable ce qu'elle voit, vit, et ressent dans ce studio.

Je vous le recopie ci-dessous (la traduction n'est pas de moi):


Il était six, sept heure du soir, un jour au début du printemps 1968, et j’étais assise sur le sol en vinyle froid d’un studio de Sunset Boulevard, en train de regarder un groupe appelé les Doors enregistrer la piste rythmique d’une chanson. De manière générale, je n prêtais qu’une attention minime aux préoccupations des groupes de rock’n roll (j’avais déjà entendu parler de l’acide comme phase transitionnelle, ainsi que du Maharishi, et meme de l’amour universel, et au bout d’un moment tout cela me faisait l’effet d’un ciel de marmelade (NDLR: « Marmalade skies - extrait des paroles de la chanson psychédélique des Beatls, Lucy In the Sky With Diamonds), mai les Doors étaient différents, les Doors m’intéressaient. Les Doors ne semblaient pas convaincus que l’amour c’était la fraternité et le Kama Sutra. La musique des Door affirmait que l’amour, c’était le sexe, et que le sexe était la mort, et que c’était là que se trouvait le salut. Les Doors étaient les Norman Mailer du Top 50, des missionnaires de la sexualité apocalyptique. Break on through (NdT Franchis La ligne), exhortaient leurs paroles et Light my Fire et « Come on baby, gonna take a little ride/goin’ down by the ocean side/gonna get real close/get real tight/baby gonna drown tonight/going down, down, down ».

Ce soir-là de 1968, ils étaient réunis, en une symbiose malaisée, pour enregistrer leur troisième album, et il faisait trop froid dans le studio, l’éclairage était trop vif, et il y avait des montagnes de cables et quantité de ces inquiétants circuits électroniques clignotants au milieu desquels les musiciens vivent si facilement. Il y avait trois des quatre Doors. Il y avait un bassiste emprunté à un groupe appelé Clear Light. Il y avait le producteur et l’ingénieur et le tourneur et deux filles et un husky sibérien qui s’appelait Nikki et avait un oeil gris et l’autre doré. Il y avait des sacs en papier à moitié remplis d’oeufs durs et de foies de poulet et de cheeseburgers et de bouteilles vides de jus de pomme et de rosé californien. Il y avait tout et tous ceux dont les Doors avaient besoin pour finir ce troisième album à l’exception d’une seule chose, le quatrième Doors, le chanteur, Jim Morrison, un ancien étudiant d’UCLA agé de 24 ans qui portait des pantalons en vinyle noir sans sous-vêtements et qui donnait l’impression de montrer toute l’étendue des possibles au-delà des pactes suicidaires. C’est Morrison qui avait décrit les Doors comme des « politiciens érotiques ». C’est Morrison qui avait défini les intérêts du groupe: « tout ce qui a trait à la révolte, au désordre, au chaos, aux gestes qui paraissent dénués de toute signification ». C’est Morrison qui s’était fait arrêter à Miami en décembre 1967 pour « obscénité » sur scène {Geoffrey --> de toute évidence, elle se plante, il s'agit de New Heaven}. C’est Morrison qui écrivait la plupart des paroles des Doors, dont la particularité était d’exprimer soit une paranoia ambiguë, soit une instance tout sauf ambiguë sur l’amour-mort comme trip absolu. Et c’est Morrison qui manquait à l’appel. C’est Ray Manzarek, Robby Krieger et John Densmore qui faisaient le son des Doors, et c’était peut être à cause de Manzarek et Krieger et Densmore que dis-sept personnes sur vingt interrogées dans l’émission « American Bandstand » préféraient les Doors à n’importe quel autre groupe, mais c’est Morrison qui montait sur scène en pantalon de vinyle noir sans sous-vêtements et projetait l’idée, et c’est Morrison qu’ils attendaient maintenant.
« Hé, vous savez quoi? » dit l’ingénieur. J’écoutais la radio en venant, et ils ont passé trois chansons des Doors, d’abord « Back Door Man » et ensuite, « Love Me Two Times » et « Light My Fire ».
- Oui, j’ai entendu murmura Densmore. J’ai entendu.
- Et alors, qu’est ce que ça peut faire si quelqu’un passe trois de vos chansons ?
- Le type les a dédicacées à sa famille.
- Sans blague. A sa famille ?
- A sa famille. Dégueulasse ».
Ray Manzarek était penché sur un clavier Gibson. « Vous pensez que Morrison va revenir ? » demanda-t-il sans s’adresser à personne en particulier.
Personne ne répondit.
« Histoire qu’on puisse enregistrer des voix? » dit Manzarek.
Le producteur travaillait sur la bobine de la piste rythmique qu’ils venaient d’enregistrer. « J’espère, dit-il sans lever les yeux ».
- Ouais, dit Manzarek. Moi aussi. »
J’avais une jambe engourdie, mais je ne me suis pas levée; tout le monde dans la pièce paraissait catatonique, sous le coup d’une tension sans nom. Le producteur repassa la piste rythmique. L’ingénieur dit qu’il voulait faire ses exercices de respiration Manzarek mangea un oeuf dur. « Tennyson avait fait un mantra avec son propre nom, dit-il à l’ingénieur. Je ne sais pas s’il disait « Tennyson Tennyson Tennyson » ou « Alfred Alfred Alfred » ou « Alfred Lord Tennyson », mais en tout cas c’est ce qu’il faisait. Peut-être qu’il disait juste « Lors Lord Lord ».
- Groovy », dit le bassiste de Clear Light. C’était un aimable enthousiaste, pas du tout un Doors dans l’esprit.
« Je me demande ce que disait Blake, songea tout haut Manzarek. Dommages que Morrison ne soit pas là. Morrison saurait ».

Longtemps après. Morrison arriva. Il portait son pantalon vinyle noir et sil s’assit sur un canapé en cuir devant les quatre grandes enceintes muettes et ferma les yeux. Ce qui était curieux dans l’arrivée de Morrison, c’était ceci: personne ne réagit. Robby Krueger continua de travailler une passage à la guitare. John Densmore réglait sa batterie. Manzarek était assis à la console et tripotait un tire-bouchon en laissait une fille lui masser les épaules. La fille ne regardait pas Morrison, qui était pourtant directement dans son champ de vision. Une heure passa, et personne n’avait encore adressé la parole à Morrison. Puis Morrison s’adressa à Manzarek. C’était presque un murmure, comme s’il extirpait de très loin les mots qu’une sorte d’aphasie l’empêchait de prononcer.
« West Convina est à une heure de distance, dit-il. Je me disais qu’on ferait peut être mieux de passer la nuit sur place après le concert.
Manzarek reposa le tire bouchon. Pourquoi dit il ?
- au lieu de revenir ».
Manzarek haussa les épaules: « On avait prévu de revenir ».
- bah je me disais qu’on pourrait répéter la bas.
Manzarek ne dit rien.
« on pourrait trouver une salle de répétition il y a un Holliday Inn juste à côté »
- on pourrait faire ça, dit MAnzarek. Ou alors, on pourrait répéter dimanche, en ville.
- Pourquoi pas ».
Morrison marqua un temps.
« L’endroit sera prêt pour qu’on répète d’ici dimanche ? ».
Manzarek le regarda un moment. « Non, dit il ensuite ».
Je comptais les boutons de contrôle sur la console électronique. Il y en avait 76. Je n’aurais pas su dire à l’avantage de qui s’était soldée la conversation, ou si elle c’était meme soldée. Robby Kriger pinça les cordes de sa guitare et dit qu’il lui fallait une pédale d’effet fuzz. Le producteur suggéra qu’il en emprunte une aux Buffalo Springfields, qui enregistraient dans le studio d’à côté. Krieger haussa les épaules. Morrison se rassit dans le canapé en cuir et se renfonça. Il fit craquer une allumette. Il observa la flamme pendant un moment puis très lentement, très délibérément, l’approcha de la braguette de son pantalon vinyle noir. Manzarek le regarda. La fille qui massait les épaules de Manzarek ne regarda personne. On avait l’impression que personne ne quitterait jamais cette pièce. Il se passerait encore plusieurs semaines avant que les Doors finissent d’enregistrer cet album. Je ne suis pas restée jusqu’au bout.
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Antoine


14 Aoû 2015, 4:36
Magnifique. Waiting for the sun.
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Nico


14 Aoû 2015, 7:46
Ambiance, ambiance...
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Sister Mid'nite


14 Aoû 2015, 12:44
Sans vouloir déconsidérer ce post, cette histoire a déjà été racontée deux fois sur ce forum.

Ce qui est intéressant, c'est que ce témoignage a servi à plusieurs biographes pour démontrer que vu l'ambiance ce jour-là dans le studio on pouvait considérer qu'à partir du printemps 68, les doors n'étaient plus les doors, c'est-à-dire qu'il n'était plus 4=4 mais 4= 3+1 . Ce qui est en partie vrai mais ça l'était déjà dès 1965.
Ce message a été modifé par Sister Mid'nite (14 Aoû 2015, 12:45)Citer
Nico


14 Aoû 2015, 13:27
Dès 65 ? Des arguments !!! Pour moi la vraie rupture est l'épisode de la pub Buick courant 68.
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Sister Mid'nite


14 Aoû 2015, 14:04
Citation de Nico :
Dès 65 ? Des arguments !!! Pour moi la vraie rupture est l'épisode de la pub Buick courant 68.



Nico, je penses que tu mollis
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Geoffrey


15 Aoû 2015, 11:16
Citation de Sister Mid'nite :
Sans vouloir déconsidérer ce post, cette histoire a déjà été racontée deux fois sur ce forum.

Ce qui est intéressant, c'est que ce témoignage a servi à plusieurs biographes pour démontrer que vu l'ambiance ce jour-là dans le studio on pouvait considérer qu'à partir du printemps 68, les doors n'étaient plus les doors, c'est-à-dire qu'il n'était plus 4=4 mais 4= 3+1 . Ce qui est en partie vrai mais ça l'était déjà dès 1965.


Il ne me semblait pas que le passage avait été retranscrit, en français, sur ce forum. Il est très rare que les thèmes abordés sur ce forum ne l'aient pas été d'une façon ou d'une autre dans d'autres sujets.

Quant à ta remarque sur 1965, oui, je déduis de ton propos que ta pensée est que les Doors n'ont jamais été 4 et que depuis le début, ils étaient 3+1. Je trouve intéressant que Nico ne te suive pas là dessus.
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Nico


16 Aoû 2015, 9:07
Lors de la création du groupe et toute l'année 1966 où ils travaillèrent sur leurs morceaux, je pense qu'il y avait un véritable esprit de groupe et que Morrison prenait plaisir à cette interaction créative. Il en était même un moteur par exemple lorsqu'il proposa à Robby d'écrire des textes. Ils vivait à cette époque en grande partie chez Ray et Morrison voyait dans le groupe un moyen de faire découvrir ses textes. On sait que c'était Morrison et Ray qui se rendaient aux rdv dans les maisons de disque pour tenter de décrocher un contrat, pour jouer dans les clubs.
Ensuite il y a eu le premier album et là encore Morrison était très impliqué. L'enregistrement s'est fait en à peine une semaine et il n'y avait pas l'ennui du travail en studio.
L'année 1968 marque le début de la dégradation des relations avec le groupe. Le rythme des tournées qui s'enchaîne, le besoin de créer de nouveaux morceaux en studio et son travail fastidieux, la pression des médias, la perte de contrôle de l'image, les intérêts financiers entrant en jeu, le comportement de plus en plus ingérable de Morrison, et le point culminant résumant la situation : la pub pour Buick. Après cela Morrison a compris que les envies et les intérêts de chacun ne convergeaient pas dans la même direction. Le groupe, ses textes, son image et la musique devenaient un produit et non plus de la création pure, ce qui était pourtant son véritable leitmotiv.
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Geoffrey


17 Aoû 2015, 6:40
Tout à fait d'accord.
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birdofpray


17 Aoû 2015, 14:12
Nico le ramollo
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