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Forum>The Doors>Le producteur Paul Rothchild
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Miami 69


28 Jui 2017, 8:25
Petite bio sur Paul Rothchild lue récemment dans un mag.

Après avoir lutté 5 ans contre le cancer, le producteur Paul Rothchild est décédé à L.A le 30 mars 1995 à l’âge de 59 ans.

C’est pratiquement mission impossible d’évaluer la contribution de Rothchild à la musique des doors.

Il fut, c’est certain, un pilote habile qui a su dirigé le groupe dans sa tentative de créer quelque chose de neuf et unique. Par sa personnalité calme et son intuition très aigue, il a su également composer avec le talent explosif de Jim Morrison lors des interminables séances d’enregistrement en studio.

Son intelligence très percutante, sa passion pour le travail en studio, son humour irrespectueux ont participé au développement du son des doors.

Sans ses conseils et ses compétences, les disques de The doors jusqu’à Morrison hotel n’auraient pas été possible. Certains n’hésiteront pas à le nommer le cinquième doors !

Son travail avec les doors a été certainement un des plus importants de sa carrière, mais il a été producteur de nombreux groupes très variés.

Au début des années 60, il est directeur pour les enregistrements chez Elektra et s’occupent de grands artistes folk comme Phil Ochs, Tim Buckley, Tom Flush, Fred Neil.

Au milieu des années 60, il accompagne les artistes vers les sons électriques et s’occupent de Love et Paul Butterfield blues band. Il participe à la formation de Crosby, Still & Nash, produit les meilleures chansons de Janis Joplin et travaillent plus tard avec Everly Brothers, The Outlaws, Bonnie Raitt.

Lorsque la mort devint une évidence, il demanda à son ami le plus proche, le photographe Bobby Klein, de préparer avec lui ses funérailles.

Pendant celle-ci, les invités furent encouragés à venir raconter quelque chose sur Paul.

John Densmore dit qu’il avait l’impression que Paul Rothchild avait été prêt à réunir Janis et Jim en duo. Il avoua que lorsqu’il commençait à haïr Paul parce que celui-ci exigeait une 102ème prise, il réalisait que le producteur réussissait à obtenir une musique géniale que lui-même pensait être incapable de faire.

Ray Manzarek raconta qu’il ne pouvait espérer mieux que ce producteur très talentueux avec lequel il avait pris beaucoup de plaisir à travailler.

Robby Krieger dit que le désir de vie de Paul avait contrebalancé le désir de mort de Jim et que le groupe se trouvait entre les deux dans une position incroyable.

A la fin, Bobby Klein raconta que, quelques jours avant sa mort, il demanda à Paul Rothchild ce qu’il souhaitait le plus quand il s’en irait et celui-ci lui répondit avec un grand sourire « Mozart, mec, Mozart ! »
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Sister Mid'nite


2 Jul 2017, 9:16
Je saute sur l'occasion de ce nouveau sujet pour publier un entretien.

Comme il est très long je le posterai en plusieurs parties et en plus je n'ai pas fini de le traduire.


En mars 67, Paul Rothchild reçoit un journaliste de Crawdaddy, pour un entretien 2 mois après la sortie du premier album. A cette époque, les doors sont inconnus à part du public des petits clubs de Los Angeles, San-Francisco et New-York.


CRAWDADDY: Comment se fait-il que Krieger joue si lentement ?

ROTHCHILD : C'est compréhensible si on se rend compte que la majorité des guitaristes du nouveau rock ont une technique qui se base sur le blues, que ce soit celui de Chicago ou celui du Delta, ou sur la technique folk du cotton-pickin' (Les doigts jouent un rythme pendant que le pouce en joue un autre).

Robbie n'utilise aucun de ces styles. Sa première guitare était une guitare de flamenco. Une très bonne connaissance de l'utilisation du rubato est essentielle dans l'interprétation lente du flamenco.

(Le rubato est une technique utilisée d'abord dans la musique classique. Elle permet d'avancer certaines notes de la mélodie ou d'en retarder d'autres. Ces variations de vitesse sont appliquées selon l'inspiration de l'interprète qui imprime ainsi son expression émotionnelle).

Quand vous regardez Robbie jouer, même quand il joue très vite, il donne l'impression de jouer lentement. Sur son visage on voit tour à tour l'expression de quelqu'un qui écouterait une question et qui ensuite réfléchit pour répondre.



CRAWDADDY: J'ai le sentiment que la plupart des guitaristes veulent s'entendre jouer. Pour moi, c'est inconcevable que Robbie aie besoin de s'écouter, il sait exactement ce qu'il fait, il a une manière de jouer qui ne fait qu'un avec la musique.

ROTHCHILD: Le fait est que Robbie ne s'écoute pas jouer parce qu'il écoute Ray. Plus que tout, il écoute Ray. Il n'y a que deux instruments et c'est le rythme de Ray plutôt que le rythme de la batterie de John qui pose les bases. Robbie doit trouver des espaces libres pour s'exprimer. Donc il doit beaucoup écouter et ne peut pas se renfermer sur lui dans une interprétation égocentrique.



CRAWDADDY: L'intégration de Robbie est très réussie ! Il ne donne pas l'impression d'être un virtuose. Dans le morceau The end, vous ne prenez jamais conscience de la guitare, qui est pourtant pratiquement le seul instrument, à part la batterie qui a un accompagnement très original. Dans Light my fire, là on l'entend, mais parce que c'est une chanson pour virtuose.

Racontez-moi ce que vous connaissez de ce groupe !

ROTHCHILD: En réalité, je ne sais pas grand chose. Je sais que Ray Manzarek et Jim Morrison se fréquentaient quand ils étaient encore étudiants en cinéma à l'UCLA. Après leurs études ils ont décidé de faire quelque chose ensemble dans la musique. Ils ont commencé par jouer du blues et Ray chantait aussi, ils ont fait quelques trucs intéressants.



CRAWDADDY: Est-ce que Jim jouait d'un instrument ?

ROTHCHILD: Non. Et je ne sais même pas d'où vient Robbie et comment il est entré dans le groupe. Je ne me suis jamais vraiment intéressé aux activités passées des membres des groupes. Les questions que je pose d'habitude aux musiciens sont sur leur formation, quelles sont leurs influences et pour quelles raisons ils ont choisi la musique.

Je crois qu'ils étaient tous à l'UCLA. Il me semble que Ray et Jim ont débuté la musique ensemble il y a 2 ans. Les doors jouent depuis une année ou une année et demi. Ils ont été longtemps dans une dynamique de changement et d'instabilité.

C'est un soulagement pour eux d'avoir fait ce premier album parce qu'il leur permet d'avancer dans leurs propres concepts musicaux.

C'est une chose très intéressante d'observer l'effet que la fabrication d'un album a sur un groupe et comment le travail en studio améliore le répertoire.

Quand un groupe entre dans le studio d'enregistrement et qu'il se retrouve face au magnéto, qui agit comme un miroir géant, il résout tous les problèmes et joue la musique qu'il a voulue pendant si longtemps. Ensuite quand il a réussi, beaucoup abandonne car ils ont dit ce qu'ils avaient à dire.



CRAWDADDY: Pour beaucoup de groupes, la musique n'est jamais aussi bonne que sur le premier album.

ROTHCHILD: C'est vrai. Et pour les musiciens c'est presque une sorte de catharsis de faire leur premier album, parce qu'il les libère, à bien des égards; il leur permet d'aller aux endroits où ils ont voulu aller pendant si longtemps mais ils étaient attachés à leur matière originale. Ca peut sembler étrange d'utiliser un mot comme "attaché," mais c'est vraiment ça.

Mais The doors, parce qu'il est un groupe créatif et performant, est impatient et excité d'enregistrer son prochain album.



CRAWDADDY: Quelles sont les chansons les plus anciennes sur l'album ?

ROTHCHILD: "I look at you" et "Take it as it comes". Ces deux représentent probablement la genèse du groupe, plus que toutes les autres. Les chansons les plus récentes sont celles qui sont les plus profondes, celles qui montrent une plus grande maturité. "The end" est une nouveauté. "The end" est intéressant. "The end" est toujours en mouvement. Jim a utilisé ce morceau comme un tableau ouvert pour sa poésie et donc ce morceau a changé continuellement. Maintenant, il change moins. Son enregistrement sur disque est la déclaration qu'ils ont voulue faire. Jim a tendance à l'exécuter de cette façon. Parfois, il improvisera, parfois il ajoutera ou enlèvera des éléments, mais maintenant ce n'est plus un tableau en construction, c'est un morceau structuré. A cause de ceci, Jim m'a fait des remarques très récemment. Il a encore des choses qui le touchent profondément et il veut créer un nouveau morceau sur une base ouverte comme "The end".



CRAWDADDY: A propos de l'interprétation de "The end" : récemment j'ai considéré pour la première fois que les paroles "Voici la fin mon seul ami" et particulièrement "Ca me peine de te laisser partir mais tu ne me suivras jamais" pouvait parler d'un meurtre et non d'une rupture amoureuse.

ROTHCHILD: C'est intéressant ce que vous dites parce que Jim est fasciné par le concept de mort. Il est intéressé par des morts spirituelles, des morts conceptuelles, plus que des morts physiques en réalité. Vous trouverez ce thème dans beaucoup de ses chansons par exemple "La fin des nuits où nous avons essayé de mourir".



CRAWDADDY: Ca nous renvoie à The end.

ROTHCHILD: Exactement ! Je ne suis pas sûr si c'est ce que Jim a à l'esprit, ceci est mon interprétation et non pas celle de Jim parce que nous n'en avons jamais parlé, mais c'est comme s'il parle à un ami et dit ok je fais un trip d'acide et je te dis "Voici la fin mon ami, mon seul ami, la fin des rires et des doux mensonges, la fin des nuits où nous avons essayé de mourir". A mon avis ces paroles sont une référence directe aux univers psychédéliques qui sont une forme d'empoisonnement physique, les produits chimiques sont un moyen de réorienter le corps par du poison …



CRAWDADDY: Tu dis que "Voici la fin" se passe avant le trip d'acide ou durant le trip ?

ROTHCHILD: Le trip a commencé et il dit "Voici la fin"



CRAWDADDY: Comme le début de la fin

ROTHCHILD: Excactement. Voici la fin. Cette fin a concerné une relation, maintenant elle est peut-être plus universelle qu'une déclaration à cet ami théorique, cela pourrait être la fin du monde, la fin des rires et des doux mensonges ou une autre fin.



CRAWDADDY: Soi-même

ROTHCHILD: Précisément. Il dit chaque fois que nous nous évadons, il y a une mort, la mort de concepts, la mort de conneries, la mort des rires et des doux mensonges. Et là nous retournons dans la réalité.

Il y a une chose que Jim avait l'habitude de dire pendant cette chanson, cette chose est une image cruelle de la mort. C'était la théorie du bus bleu.

Il disait "Avez-vous vu l'accident à l'extérieur ? (l'extérieur étant le monde). Sept personnes s'évadent, découvrent le monde et meurent".

En d'autres mots, le monde est plein de concepts merdiques qui nous brûlent le cerveau depuis l'enfance, et ces concepts doivent mourir. Et après chaque fin il y a un commencement, c'est une chose cyclique.

"Sans limite et libre, ayant désespérément besoin de la main d'un étranger dans une terre désespérée". On va tuer toutes ces conneries en nous, ces faux vertiges comme la TV, les réactions formatées du public.


Je ne suis pas très clair, je suis désolé.


Comme autre image, vous avez le serpent. A mon avis ce serpent est une pure image sexuelle. "Chevauche le serpent vers le lac antique," cela vient directement d'images du blues, dont Jim est très familier.

"Le serpent est vieux et sa peau est froide". Jim veut dire qu'il faut porter son attention aux choses importantes de la vie. Il y a très peu de choses importantes et parmi elles, il y a la conscience sexuelle et la camaraderie. Jim est très lucide.


Une autre image qui est très belle : "Perdu dans un désert romain de douleur". Une belle image du classicisme ! J'imagine les grandes ruines d'une grande civilisation qui s'effondrent et puis il dit deux fois "tous les enfants ont perdu la raison".
Ce message a été modifé par Sister Mid'nite (18 Jul 2017, 13:41)Citer
WTMO


2 Jul 2017, 12:24
Merci Miami et Sister, très instructif !
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jimborrison


5 Jul 2017, 9:01
Dans le dernier numéro de Musiq (7) qui vient de paraître "Spécial 1967", une cinquantaine de pages sur les Doors avec entre autres une interview intéressante de Bruce Botnick.



Muziq N°7- Spécial 1967

Mai 2017 | ISBN : 979-1094387054


It was 50 years ago today… À l’occasion du 50ème anniversaire du Summer of Love, Muziq propose un numéro spécial consacré à une année phare de l’histoire la pop music en compagnie de The Doors, The Beatles, Jimi Hendrix, John Coltrane, Jane Birkin, Bobbie Gentry et bien d’autres. Au programme, 156 pages consacrées aux groupes et aux albums mythiques du rock, de la pop, de la soul, du jazz et de la chanson française avec de nombreuses interviews exclusives, des dossiers géants, des blind-tests, des articles de fond, des discographies, des tops multigenres et de nombreuses surprises. Muziq n°7 propose également une sélection des meilleurs 45-tours du millésime 67, de Pink Floyd aux Rolling Stones en passant par Cream, les Beach Boys, The Turtles, Serge Gainsbourg, Aretha Franklin et Jacques Dutronc. Bienvenue en 1967, année fantastique !

The Doors : une légende californienne
À l’occasion du 50ème anniversaire de The Doors, le premier album éponyme du groupe paru en janvier 1967, Muziq revient sur l’épopée de la formation emmenée par Jim Morrison dans un dossier spécial de 40 pages comprenant des interviews exclusifs de John Densmore, du producteur Bruce Botnick et de Tom DiCillo, le réalisateur du documentaire When You’re Strange.

The Beatles : 1967, l’année folle
Retour sur les enregistrements de Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, Magical Mistery Tour et des singles du quatuor enregistrés au cours d’une année folle dans une saga géante de 50 pages richement documentée.

Jimi Hendrix : « Pour mon ami Perkins »
Le 9 octobre 1967, un musicien français effectue la première partie de The Jimi Hendrix Experience, puis disparaît pendant 50 ans. À la recherche de JP Perkins.

John Coltrane : la fureur poétique
Retour sur les dernières années d’un extraordinaire créateur disparu en juin 1967
Jane Birkin : « Je n’ai pas du tout remarqué le Summer of Love »
Les Beatles, David McWilliams, Bobbie Gentry et, bien sûr, Gainsbourg. Bind-test millésimé swinging London avec un ex-fan des sixties.

Bobbie Gentry : Ode To Bobbie Gentry
En juillet 1967, une singer-songwriter inconnue plombe le summer of love avec Ode To Billie Joe, un sombre récit de suicide adolescent dans le Sud profond américain. Pourquoi Billie Joe McAllister s’est-il jeté du Tallahatchie Bridge ? Et qu’est devenue Bobbie Gentry ?

1967 en 45-tours minute
Année phare en matière d’albums cultes, 1967 est aussi une cuvée exceptionnelle dans la catégorie 45-tours. Retour sur les douze mois qui ont ébranlé la planète musique en 40 singles historiques sélectionnés par la rédaction de Muziq.

Également au sommaire : Ticket To Ride avec Paris Pop Festival 1967, Tops psychédélique, jazz, musique de films, soul, interviews…
Ce message a été modifé par jimborrison (5 Jul 2017, 9:04)Citer
Sister Mid'nite


6 Jul 2017, 15:17
Merci Seb ! je trouve aussi que cet entretien nous apprend beaucoup de choses...

Voilà une deuxième partie de cet entretien.

CRAWDADDY: Les barbares.

ROTHCHILD : Je suis d'accord.

"En attendant la pluie" ... qui va nous nettoyer. Et voilà une autre mort symbolique. Perdre la raison est bien sûr une mort symbolique, c'est une mort en elle-même et le nettoyage est une renaissance.
Et ensuite au milieu de la chanson il y a l'incroyable truc oedipien et j'en ai parlé avec Jim, parce que j'étais impressionné comme rarement. Je n'ai jamais été bouleversé dans un studio d'enregistrement autant que quand ils l'ont interprété. J'étais impressionné par le fait que pour la première fois dans l'histoire du rock 'n' roll un drame pur était enregistré sur bande. C'est très important pour moi et c'est aussi significatif que Jim ait voulu utiliser une image purement classique pour le dire parce que l'histoire qu'il dit est essentiellement basée sur la légende d'Oedipe.
Il raconte "Le tueur se réveille avant l'aube, il met ses bottes. Il choisit un visage dans la galerie antique. Il vient à la porte et il entre dans la chambre où son frère a vécu et ensuite il entre dans la chambre où sa soeur a vécu et ensuite il descend dans le hall et il s'avance vers une une porte et il rentre et il dit "Père ? Oui, fils ? Je veux te tuer" Et ensuite il continue de marcher …

CRAWDADDY: Non non ! il dit tout de suite "Mère"

ROTHCHILD : Oui, il y a quelques accords de musique et il dit "Mère, je veux …" et il crie. Il crie pour des raisons évidentes. Même Jim se censure.

CRAWDADDY: Oui et ça rend la chose plus efficace.

ROTHCHILD : Bien sûr, c'est plus efficace.
Jim l'a d'abord exprimé précisément de cette façon "Tuer le père, baiser la mère." A un moment donné pendant la session d'enregistrement, il était très perturbé, il pleurait et il a crié "Quelqu'un me comprend-il ?" et j'ai dit "Oui !" Et là nous avons eu une longue discussion à propos du sens de ces paroles et Jim a répété plusieurs fois "Tuer le père, baiser la mère."

Essentiellement ça se résume à ceci :

"Tuer le père" c'est tuer tout ce qui a été instillé en nous mais qui ne vient pas de nous, qui ne nous correspond pas, ce sont les concepts étrangers qui ne sont pas les nôtres. Ils doivent mourir. C'est la révolution psychédélique.

"Baiser la mère" ça signifie revenir à l'essence, ce qui est la réalité, la vraie mère, celle que vous pouvez toucher, celle que vous pouvez saisir, que vous pouvez sentir, c'est la nature, c'est réel, ça ne peut pas se trouver en nous.

Ainsi ce qu'il dit avec l'Oedipe, c'est de tuer les concepts étrangers, revenir à la réalité, développer des concepts personnels. Chercher votre propre réalité, découvrer qui vous êtes réellement.



CRAWDADDY : Je pensais juste, en termes de retour à la réalité, à "Soul kitchen" avec la réclamation, le désespoir. C'est une chanson à message avec les paroles "Apprendre à oublier." En un sens, elle dit l'opposé.

ROTHCHILD : "Soul kitchen" est plein d'imagerie sexuelle.


CRAWDADDY : Ca va au-delà de "Apprendre à oublier!"

ROTHCHILD :"Apprendre à oublier" est la clé, autrement Jim ne le dirait pas plusieurs fois dans la chanson. C'est un autre aspect de la révolution. Il va dans le même sens que "The end". Apprenez à oublier les conneries, les concepts étrangers, revenez à la réalité, c'est la cuisine de l'âme.

CRAWDADDY : Pour moi, il dit quelque chose d'autre, aussi. Tout ce qu'il dit dans "Soul kitchen" est très douloureux pour lui, on l'entend dans la façon dont il dit "Apprendre à oublier!" Il est très amer.

ROTHCHILD : Eh bien, regardons-le de cette façon: "Soul kitchen" est une chanson des débuts. Et Jim n'a pas appris à oublier aussi bien qu'il le fait plus tard avec la chanson "The end". Je me demande si je le dis assez fort.

CRAWDADDY : Nous le vérifierons. Dites cela à Sony.

ROTHCHILD : Nous utilisons ce petit magnétophone Sony pour m'enregistrer. Les enregistrements que je fais ces temps sont faits avec des micros Sony. Tous les producteurs dans le pays comprendront cela.

CRAWDADDY: Nous enverrons une copie à Sony.

ROTHCHILD: C'est ce qui produit le son groovy de la batterie.
Ce message a été modifé par Sister Mid'nite (18 Jul 2017, 5:56)Citer
Sister Mid'nite


13 Jul 2017, 11:27
Troisième partie


CRAWDADDY: Comment le micro influence la prise de son ?

ROTHCHILD: Eh bien, tout le monde connaît comment les différents haut-parleurs affectent le son d'un enregistrement, chacun a une caractéristique différente, et bien c'est encore plus évident avec les microphones. Une fois que vous apprenez à connaître les micros, chacun a une caractéristique différente et peut faire un travail spécifique mieux qu'un autre. Si vous avez des cuivres très forts, l'un des meilleurs micro à utiliser est un des plus vieux micros déjà existants, un vieux RCA 44, le micro du vieil animateur radio que tout le monde connaît bien, un énorme bout de métal octogonal.


CRAWDADDY: Est-ce que vous prenez vos propres micros en studio ?

ROTHCHILD: Non, nous utilisons des studios avec des micros qui sont compatibles avec nos techniques d'enregistrement. La plupart des bons studios d'enregistrement ont plusieurs types de micro, des Sony ou Neumans ou Telefunkens ou Capps ou Synchrons et le RCA. Il y a aussi le microphone le meilleur marché du monde qui est utilisé pour chaque grosse caisse, c'est l'Altex 633-C qui coûte trente dollars, on le surnomme "la salière".


CRAWDADDY: Sur quels critères vous choisissez un studio d'enregistrement pour un groupe ? La taille, le bon feeling avec le son ? Qu'est-ce que c'est ?

ROTHCHILD: Les ingénieurs du son sont le facteur le plus important dans n'importe quel studio. Comme un artiste cherchera un producteur créatif, un producteur cherchera un ingénieur du son créatif. C'est vital. Vous pouvez avoir le studio d'enregistrement le plus super du monde et… Je suis allé dans ces studios avec des ingénieurs médiocres, mais vous pourriez utiliser ce Sony et inventer un meilleur son. Une fois que vous savez que vous avez un bon ingénieur, vous devez être certain qu'il a à sa disposition les meilleurs outils.

J'ai récemment travaillé avec un des plus grands ingénieurs du son du monde. Dave Hassinger est un exemple parfait d'un grand ingénieur dans un mauvais studio. Il est devenu très célèbre à cause du travail qu'il a fait avec les Rolling Stones. J'estime qu'Hassinger travaille dans un des pires studios du pays, le RCA Victor (studio B) à Hollywood. Si Hassinger a tiré le maximum de ce studio c'est parce qu'il est un excellent ingénieur. Une autre preuve du talent d'Hassinger, comme ingénieur créatif pur, indépendamment de ce que les gens pensent de la musique, c'est le travail qu'il a fait à partir de zéro avec les Electric Prunes. Maintenant c'est Hassinger, tout Hassinger. Il n'a pas enregistré au studio B de RCA, c'est pourquoi cela semble si moderne. Ca a été enregistré au Gold Star Studios (Hollywood) et certaines parties ont été enregistrées au Sunset Sound Recorders (Hollywood). Écoutez la face A du nouvel album du groupe Love, Da Capo, qui a été enregistré par Hassinger au studio B. Un miracle d'ingénierie…


CRAWDADDY: Les sessions d'enregistrement de l'album The Doors, comment et quand ont-elles commencées ?

ROTHCHILD: Les enregistrement ont duré 2 semaines sur les mois d' août et septembre. Le mixage a duré 5 semaines.


CRAWDADDY: J'aimerais connaître plus de détails sur les sessions d'enregistrement, comment ça s'est passé la première fois que vous y êtes allés tous ensemble ?

ROTHCHILD: Je vais vous le dire précisément. Ils avaient fait une démo pour la Columbia et après j'ai travaillé avec eux pour Elektra, je les ai préparés. C'est quelque chose que j'aime faire avec les nouveaux groupes, les groupes vierges, qui n'ont pas été dans des studios auparavant, parce qu'il y a toute sorte de problèmes qui doivent être résolus avant qu'ils ne puissent enregistrer confortablement pour le vinyle. L'idée commune, qui n'est pas mon idée, est que les studios d'enregistrement sont des hôpitaux où les musiciens rentrent comme dans une salle d'opération. Je m'éloigne de cette vision et j'essaie de convertir l'atmosphère et l'émotion du studio dans ce qu'il a de plus chaleureux comme si nous étions assis dans un salon à jouer de la musique. Ceci est très étrange. La musique est et sera toujours une expérience très intime.


CRAWDADDY: Oui mais ça dépend des groupes.

ROTHCHILD: Bien sûr. Un groupe de rock 'n' roll doit avoir un public pour réagir. Dans le studio d'enregistrement, le public c'est le producteur.
Plutôt qu'être assis là à applaudir ou à huer, il montre son plaisir ou sa critique d'une autre manière. Ce que nous avons fait, pour déflorer ce groupe dans le studio d'enregistrement, c'est de faire en sorte que les musiciens ressentent qu'ils vont enregistrer. Nous allons transpirer un jour ou deux, mais nous sommes là pour faire des masters, nous n'entrons pas en studio pour glander. Parfois vous êtes chanceux. Nous n'avons coupé que deux morceaux, qui n'apparaissent donc pas sur l'enregistrement final. Nous ne nous arrêtons pas quand la prise est parfaite, nous nous arrêtons quand la prise est inspirée. C'est la chose la plus importante : le preneur de son doit avoir la sensation que la musique est là, même s'il y a des erreurs musicales. Quand la muse entre dans le studio pour nous rendre visite, c'est la bonne prise.


CRAWDADDY: Comment s'est passé l'enregistrement de The end ?

ROTHCHILD: C'était beau, c'était un des plus beaux moments que j'ai jamais eu dans un studio d'enregistrement, cette demie heure où "The end" a été enregistré. J'ai été bouleversé. D'habitude, comme producteur, vous êtes assis là écoutant ce qui va bien et ce qui va mal. Vous suivez chaque instrument simultanément, vous êtes attentif aux sensations, à l'humeur. Durant l'enregistrement j'étais devenu totalement le public. Une fois que les machines ont été mises en route, il n'y avait plus rien à faire pour moi. Auparavant, je m'étais assuré que le son était juste pour chaque instrument. Bruce, l'ingénieur, s'était calé sur tout ce que je lui avais demandé de faire et au commencement de la prise j'étais assis à écouter. Au milieu du morceau, je n'étais plus le producteur, j'avais été complètement absorbé par ce que j'entendais. Le studio était presque totalement plongé dans l'obscurité. Il n'y avait que les lumières de la salle de commande et une bougie, allumée à côté de Jim qui chantait derrière la salle de commande. Toutes les autres lumières étaient éteintes. C'était … très sombre … wouaw…
Ce message a été modifé par Sister Mid'nite (21 Jul 2017, 2:20)Citer
deepfan
13 Jul 2017, 23:22
Merci pour ton boulot de retranscription et de traduction. Un boulot considérable!
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Nico


14 Jul 2017, 2:39
Et super intéressant !
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Sister Mid'nite


17 Jul 2017, 8:35
Dernière partie !

Oui merci, même si je suis à l'aise en anglais, c'est quand même beaucoup de travail.

Je le fais aussi parce que j'ai pas mal de temps libre et je pense que ce genre de texte (comme les dizaines d'autres que j'ai traduits, je dois arriver à une cinquantaine de pages traduites !) sont une mine d'or pour les passionnés des doors. En lisant celui-là, je me suis aperçue que par exemple le travail de Rothchild était décrit de manière assez précise et l'influence de Rothchild a été souvent un sujet de discussion sur ce forum. En plus il y a une foule de détails qui rend tout ça très vivant.



CRAWDADDY : Quel studio ?

ROTHCHILD : Au Sunset Sound Recorder. Je pense qu'actuellement c'est le meilleur studio du pays, principalement à cause de Bruce Botnick, qui a 23 ans et est un des ingénieurs les plus chouettes que je puisse imaginer, extraordinairement créatif et très agréable dans le travail.

Ah et Jim…c'était un moment magique… Jim a interprété "The end", il l'a fait et j'ai fait ce bout de route avec lui, il m'a embarqué. C'était presque un choc quand la chanson s'est terminée, vous savez quand Robbie joue ces dernières petites notes à la guitare. C'était ... vous savez…"voici la fin, voici la fin" ...comme si il ne pouvait pas aller plus loin, c'est la déclaration finale.

Je me suis senti émotionnellement lavé. Il y avait quatre autres personnes dans la salle de commande à ce moment-là et quand la prise fut terminée, nous nous sommes rendus compte que la bande continuait de tourner. Bruce, l'ingénieur, était complètement vidé et au lieu d'être assis là comme les ingénieurs ont coutume de faire, sa tête était posée sur la console et il était complètent submergé. Mais il avait fait tout juste. Parce que Bruce et moi avions établi une sorte de marche à suivre, il savait où et quand je voulais qu'il intervienne; quand son travail a été fait, il a fait exactement la même chose que moi, involontairement il est devenu le public. Donc la muse a vraiment visité le studio à cet instant. Nous étions tous devenus le public. Les machines savaient ce qu'il fallait faire.



CRAWDADDY : Jim a enregistré sous acide ?

ROTHCHILD: Non. Nous avons essayé la nuit précédente d'enregistrer "The end" mais nous n'y parvenions pas. Jim ne pouvait pas le faire. Il a voulu désespérément le faire; tout son être criait "Tuer le père, baiser la mère! Tuer le père, baiser la mère!"

Maintenant, je ne sais pas, vous l'avez entendu dire au milieu de "The end" "Tuer, tuer, tuer"?

CRAWDADDY: J'ai entendu dire des choses. Je ne peux pas vous dire ce que c'était.

ROTHCHILD : Vous l'entendrez la prochaine fois. Pendant la partie raga il dit, "Tuer! Tuer! Tuer!" et à un autre moment il dit, "Baiser! Baiser ! Baiser !" comme un instrument rythmique. Ce rythme (avec les coups sur le microphone) "Baiser! Baiser ! Baiser !" est aussi gravé sur le disque comme nous le voulions.

Je suis sûr que médicalement Jim était toujours en train de faire un voyage sous acide. Mais l'enregistrement a été fait après la période, la lucide… la période claire, c'est la période réfléchissante d'un voyage sous acide. J'ai essayé plusieurs fois d'enregistrer des artistes sous acide mais ça ne marche pas. Tout du moins pour moi. Je n'ai jamais vu que cela marche dans un studio. Je n'ai jamais parlé avec un producteur qui l'a essayé et pour lequel cela a marché.



CRAWDADDY: La question la plus intéressante est : comment le morceau s'est construit pour devenir "The end" ? Qu'est-ce qui existait avant l'entrée en studio et quelle part a fleuri durant ces deux nuits ?

ROTHCHILD: Disons-le ainsi : le cadre, la structure de la chanson, était connu de tous. Tout le monde savait ce qu'il avait à faire. Ray savait ce qu'il allait jouer, pas les notes mais où et pourquoi il devait jouer. Robbie savait où et pourquoi. John, un batteur brillant, a joué un des accompagnements de batterie les plus extraordinaires que j'ai jamais entendu. Sans tenir compte du fait que je suis impliqué dans cet album, son jeu à la batterie est incroyablement créatif, il a l'instinct pour jouer au moment précis. Pendant une partie très calme, il commencera juste avec trois frappes sur un tom qui sont aussi fortes que vous pouvez frapper un tom et il a raison, ces frappes sont absolument justes! Vous ne pouvez pas planifier ce genre de choses.

Jim, bien sûr, dans sa dynamique créative savait exactement ce que la chanson devait être. Il a essayé plusieurs choses différentes en studio. Il retirait de sa poche arrière une liasse de bouts de papier divers avec des petites notes, des petites lignes de poésie et il les regardait, les chiffonnait et les jetait puis chantait des paroles différentes, des paroles que j'avais entendues chanter dans un club (le Wisky a go go). A d'autres moments, il chantait des paroles que je n'avais jamais entendues auparavant, dont quelques unes apparaissent dans la version enregistrée. La version finale que vous entendez est, je pense, une forme aboutie, c'est presque exactement la façon qu'ils l'exécutent maintenant. C'est une de ces choses rares où une oeuvre musicale a été captée au sommet de sa maturité dans un studio d'enregistrement, c'est extrêmement rare.

En général, la chanson est enregistrée trop tôt ou trop tard; le plus souvent elle est enregistrée trop tard. Il y a une sorte de léthargie que l'on peut entendre dans beaucoup de performances enregistrées qui est le résultat d'une oeuvre musicale dans sa forme déclinante. Quand tout le monde est au point, il n'y a pas l'enthousiasme de la créativité.

"Alabama song" ! je suis sûr que vous voulez savoir ! Ray et Jim admirent Kurt Weill et Bertolt Brecht. Pour des raisons évidentes. Je suppose que Brecht disait dans les années 30 ce que Morrison essaye de dire dans les années 60. Ils ont des messages complètement différents, mais les deux essaient de déclarer une réalité à leur génération. C'est l'hommage des Doors à un autre temps, un temps courageux pour d'autres hommes courageux. "Montre-moi le chemin pour le prochain whisky bar" vous pouvez l'interpréter comme bon vous semble; ces jours, peu de personnes sont intéressées à aller dans un bar à whisky, mais le concept est juste. "Montre-moi le chemin de la prochaine fille" hé bien c'est 1967.

De plus, il y a un instrument étrange sur cet air. C'est une variante de l'autoharpe. Au lieu d'être tapoté ou pincé, il est frappé. L'instrument est appelé un Marxaphone, il a été breveter sous ce nom. C'est une série de ressorts d'acier qui sont placés à un angle au-dessus des cordes; vous appuyez sur les ressorts d'acier et un marteau métallique va faire "bouoong". C'est un instrument à percussion, une autoharpe de percussion. Ray l'a joué en overdubbing. Le surdoublage, c'est la volonté de prendre votre piste originale et d'y ajouter un son en plus. Aujourd'hui le système est appelé la sel-synchronisation, qui signifie la synchronisation sélective. Vous pouvez enregistrer sur une piste ouverte, en harmonie avec une autre musique.



CRAWDADDY : Jim grogne, particulièrement sur "Back door man". Ses grognements au début sont supers, vraiment supers. Ces bruits sont partout dans "The end" et beaucoup dans "Light my fire". Quand il a le micro ouvert, est-ce qu'il peut faire tout ce qu'il veut et vous triez après parce qu'il est enregistré sur une piste séparée ?

ROTHCHILD: Oui c'est juste. Le chanteur principal est toujours sur une piste séparée pour que vous ayez la flexibilité absolue, parce que dans un studio d'enregistrement vouloir faire un mélange équilibré est toujours un problème. Vous écoutez généralement à des niveaux sonores très élevés, sur des enceintes de très hautes qualité, et à moins que vous puissiez fournir à tous les américains des enceintes Altex 605, vous faites face à un tas d'ennuis. Donc vous devez avoir une flexibilité absolue, particulièrement avec votre chanteur principal et, si vous avez de la chance, autant d'autres instruments et voix que vous pouvez.

Jim aime saisir le micro et s'exprimer de différentes façons avant de commencer à chanter. Il saisira le micro et il dira "euh", "gaa", "yeaaah"… c'est presque un rituel païen. C'est une invocation psychédélique de la muse façon Côte ouest et la meilleure façon de le faire vient de lui.

Sur "End of the night," Jim a décidé à la dernière minute de changer les paroles. A l'origine c'était, "Faites un voyage jusqu'au bout de la nuit" mais il a décidé que le mot "voyage" était trop utilisé et donc il l'a changé en "la grand-route". "End of the night" c'est la déclaration de Jim au monde :" Allez, devenez libres, débarrassez-vous de toute la merde, faites un voyage au milieu de la nuit".
Cela a une signification pour moi et je suis sûr que cela a une signification pour vous et je suis certain que nos significations sont très différentes. Jim aime faire cela.
Ce message a été modifé par Sister Mid'nite (21 Jul 2017, 6:22)Citer
Loustic


17 Jul 2017, 15:12
Merci ! Super intéressant.
Et j'aime le passage sur John qui mérite davantage de reconnaissance !
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