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Publié dans le Zigzag, automne 1970
Entrevue réalisée par John Tobler

John Tobler, un des écrivains rock anglais les plus prolifiques, alla interviewer Jim au Festival de l'île de Wight. C'était la deuxième fois que les Doors venaient en Angleterre. Ils profitaient cette fois d'une interruption dans le procès de Miami. Cette interview est l'une des plus brèves présentée ici, et pourtant, elle révèle clairement les doutes que pouvait nourrir Jim quand à l'idée d'une possible << révolution >> en Amérique.

J'ai découvert un livre en vente dans ce festival intitulé Le livre des chansons des Doors, qui semble être un version pirate des paroles de tous les albums, y compris le dernier. Que pensez-vous de ça ?

Jim Morrison : Eh bien, ça m'est égal si les textes ont été reproduits correctement. Mais, la plupart du temps, ils bousillent vraiment le sens, il suffit parfois d'un mot, ou d'un point, pour que tout fiche le camp.

Êtes-vous pour le fait que les paroles figurent au dos de l'album ou sur la pochette intérieure, parce que, en Angleterre, deux de vos albums seulement ont les textes, les autres non. Croyez-vous que cela fasse une différence ? Nous n'avons pas les paroles de The Unknow Soldier ( Le soldat inconnu ), par exemple.

Jim Morrison : Ouais, ils bâclent vraiment tout. Je ne pense pas que ce soit important. Je ne crois pas que ce soit nécessaire, mais...

Ça ne vous fait rien que quelqu'un se fasse un peu d'argent avec les paroles de vos chansons ?

Jim Morrison : Non, quel mal y a t-il à cela ?

Est-ce le premier festival auquel vous participez ?

Jim Morrison : Oui.

Comment le trouvez-vous ? Je veux dire, le chaos ambiant, l'atmospère de devastation et... vous savez, ça va encore ici,mais est-ce que vous êtes allé jeter un coup d'oeil dans les environs ?

Jim Morrison : Eh bien, c'est plutôt dur de marcher dans le coin. Je suis allé faire un petit tour du côté des campings, et ce festival semble assez bien organisé pour un événement aussi gigantesque. Je n'ai pas passé un aussi bon moment hier soir, parce que j'ai dû chanter et je sortais tout juste de l'avion. Mais, ce soir, je suis revenu, et j'ai pu voir pourquoi les gens aimaient tant être ici. Ceux qui disent que les grands festivals n'ont plus d'avenir se trompent, je crois. Je pense qu'ils vont montrer tout leur potentiel d'ici trois, quatre ou cinq ans.

J'ai parlé avec des types qui revenaient de Wood-stock, comme Clive Selwood ( le responsable d'Elektra à londres ), et il a dit que c'était terrible. Vous savez, l'incapacité pure et simple de faire face à la multitude, et maintenant, ils en font un film et tout le monde s'écrie : << Ouah ! Une belle révolution. >>

Jim Morrison : Je suis sûr que toutes ces choses sont beaucoup romancées, je n'avais pas un avis très favorable non plus quand j'ai vu le film. On aurait dit une horde de jeunes parasites à qui on aurait mâché le travail pendant trois ou quatre jours de... vous voyez ce que je veux dire. Ils avaient plutôt l'air de victimes ou de dupes de la culture que d'autre chose. Je pense qu'il a dû y avoir du dépit, mais je n'y étais pas, pas même comme spectateur, aussi je crois même s'ils se plantent, même s'ils ne sont pas ce qu'ils prétendent être, une célébration libre de la jeune culture, c'est toujours mieux que rien. Et je suis certain qu'il y a des gens qui, en regagnant la ville, ont emporté un peu du mythe avec eux, et qu'ils en garderont longtemps les traces.

J'en déduis que vous ne croyez pas à cette soudaine et miraculeuse révolution dont tout le monde parle...

Jim Morrison : Ce serait irréel à mes yeux. Mais je ne veux pas en dire trop parce que la politique n'est pas mon domaine, vraiment. Je crois seulement qu'il faut que vous soyez dans un état de révolution constant, ou bien vous êtes mort. Il doit toujours y avoir révolution, la constance est nécessaire, pas quelque chose qui va changer les choses, vous savez, et ça y est, la révolution va tout résoudre. L'enjeu est quotidien.

Si je comprends bien, vous voulez convaincre les gens de changer graduellement, pas dire << Pan, on arrive ! >> comme les Blacks Panthers.

Jim Morrison : Ils doivent être des Blacks Panthers eux aussi. Ils doivent changer, pour devenir à leur tour des léopards un jour, d'accord ?

Vous avez surtout joué des chansons de votre premier album hier soir. Pourquoi ? Vous vous disiez qu'on connaissait mieux celles-là ?

Jim Morrison : Non, nous, on les connaissait mieux.

Vous n'avez pas souvent l'occasion d'un engagement comme celui-là...

Jim Morrison : On en a eu, mais jamais comme celui-là, non. Je ne crois pas que notre style de musique convienne bien à un événement aussi gigantesque en plein air. Je suis persuadé que l'espèce de magie que nous pouvons apporter en jouant, quand ça marche, a plus de chance de se manifester dans une petite salle.

Comme la dernière fois que vous êtes venus en Angleterre ?

Jim Morrison : Ouais, c'était magnifique, je crois. Sans doute un des meilleurs concerts qu'on ait jamais donné.

Je parlais ce matin avec le type qui a fait le film, et j'ai dit...

Jim Morrison : Lequel ?

Geoffrey Canon. Il écrit pour le Guardian, et il m'a dit qu'il essayaient de communiquer l'urgence du rock, plutôt que celle des Doors, et j'ai dit, eh bien, je crois que vous auriez dû essayer de faire passer un peux plus celle des Doors, parce que la prise de son était merdique, vous savez.

Jim Morrison : Cela dit, je crois que ce film était passionnant. Le passer sur une chaîne nationale, je trouve ça incroyable. Le problème, c'est que les types qui ont fait le film savaient quel genre de film ils voulaient faire avant même que nous n'arrivions. On allait jouer le rôle du groupe rock politique, et ça leur donnait une chance de stimuler leurs sentiments anti-américains. Ils pensaient qu'on allait leur en donner l'occasion, et donc, leur film était bouclé avant notre arrivée. Mais je continue de penser que c'est un film passionnant.

Vous savez, quand vous étiez à la Roundhouse, il se passait quelque chose... C'était stupéfiant, tous ces genss assis là. Il y avait tellement de monde, c'était même encore pire qu'ici, parce que c'était un espace clos, et qu'il y avait deux mille personnes qui attendaient d'entrer à deux heures du matin. C'en était presque ridicule. Pourquoi n'êtes-vous pas retourné là-bas depuis ?

Jim Morrison : J'imagine qu'on a eu trop de chose à faire, et en fait, il n'y avait pas une telle demande apparement. Je veux dire, on ne pouvait pas revenir à la Roundhouse ; ça aurait été faire marche arrière. Et il ne semblait pas, une fois encore, y avoir une vraie, euh...

Non. Eh bien, la Roundhouse n'est plus le même auditorium aujourd'hui.

Jim Morrison : Les Calcutta jouent là-bas, non ?

C'est exact.

Jim Morrison : Ça parrait curieux.

Peux de temps après votre passage, ils ont mis des espèces de gradins.

Jim Morrison : En tout cas, il y a deux ans, la Roundhouse avait une scène splendide, on aurait dit un petit théatre à deux sous, vous voyez.

C'est vrai... C'est le genre de choses dont on se souvient pendant des années, c'est pourquoi j'espèrerais votre retour plus tôt.

Jim Morrison : Je comprends. Mais nous avons eu beaucoup de travail, et puis personne ne nous faisait signe non plus de revenir. Quel est le nom du magazine pour lequel vous travaillez ?

Zigzag.

Jim Morrison : Je l'ai feuilleté. J'aimerais lancer un magazine, ou un journal à Los Angeles un jour. Le problème, c'est que si vous essayez de le vendre, d'avoir de la publicité et tout ça, vous ne pouvez plus, euh...

Eh bien, vous perdrez sûrement beaucoup de votre enthousiasme quand vous commencerez à être confronté au système. Cela dit, est-ce que Los Angeles ne représente pas un marché plutôt risqué avec toutes les publications qui existent déjà là-bas ?

Jim Morrison : C'est certain. Mais ne me lancerais dans cette aventure que si je pouvais financer moi-même la publication, de façon à ne pas avoir à faire de publicités. Vous savez, ces petits magazines, ces publications qui n'ont qu'un numéro, que les surréalistes et les dadaïstes publiaient autrefois ? Des manifestes, et tout ça ?

Ouais, je vois.

Jim Morrison : Hé, regardez. Voilà un vrai film.

     [On aperçoit Jimi Hendrix filmé tandis qu'il sort des coulisses et monte sur scène, suivi d'un cameraman qui semble avoir pas mal de difficultés avec sa caméra.]

Jim Morrison : Hé, c'est superbe. On dirait un prêtre...

Pensez-vous, au point où vous en êtes, que vous ferez une nouvelle tournée prochainement ?

Jim Morrison : Eh bien, on en a une en projet... qui devrait suivre celle-ci, huit ou neuf villes d'Europe, en Italie, en Suisse et à Paris, des pays comme ça, mais je dois d'abord repartir pour la suite de mon procès à Miami. J'en suis à peine à la moitié, c'est ça qui gâche tout.

On imagine facilement les tourments que cela peut représenter...

Jim Morrison : C'est ce que j'ai cru au début, mais c'est en fait quelque chose de fascinant à vivre. On peut se placer en observateur.

J'ai parlé à Jac Holzman ( d'Elektra ), et il a dit qu'on était allé déjà tellement loin dans ce procès qu'il n'en sortirait probablement rien, qu'on irait d'appel en appel et ainsi de suite. Le problème évidemment, c'est que si vous vous retrouvez dans un position où il vous est impossible de quitter les Etats-Unis trop longtemps, on ne risque pas de vous revoir de sitôt, ici.

Jim Morrison : Je crois qu'on reviendra au printemps prochain, mars ou avril. C'est une bonne période dans l'année.

Ce serait bien. Êtes-vous content de l'album << live >> ?

Jim Morrison : Ouais, vraiment.

Nous n'avons pas eu l'occcasion de l'entendre encore.

Jim Morrison : Il est sur le point de sortir ici. Je crois que c'est un document vrai d'un de nos bons concerts. C'est pas follement bon, mais c'est un portrait fidèle de ce que nous faisons d'habitude les meilleurs soirs. Je crois que vous l'aimerez.

En fait, tout les autres me branchent déjà beaucoup. J'ai entendu dire que votre album préféré était The Soft Parade. Est-ce que c'est vrai ?

Jim Morrison : Oh ! Je ne sais pas ! Je crois qu'il n'y en a aucun que je préfère. Mais, voyons voir, en dehors de l'album << live >>, je crois que celui que j'aime le plus est Morrison Hotel.

C'est un bon choix. Il me semble qu'il y a là, peut-être, comme un retour aux deux premiers albums. Était-ce...

Jim Morrison : Alors, en ce sens seulement que nous n'avons travaillé avec aucun musicien, à l'exception du bassiste.

Lonnie Mack.

Jim Morrison : Mais il n'y avait aucune tentative consciente de revenir à quoi que ce soit.

Non, mais c'est qu'on a entendu ici, ce qui est peut-être injuste, mais il est vrai que le premier album était véritablement épique. J'en ai littéralement usé deux copies déjà, et je viens d'en acheter une troisième.

Jim Morrison : Ouais ? Vous savez, c'est terrible. c'est comme le premier roman d'un écrivain, personne ne lui permet de l'oublier. Il y a un côté nostalgique dans tout ça, non ?

Non, vous progressez certainement. Je veux dire, je pense que Morrison Hotel vous fiche K.O., alors que The Soft Parade m'a déçu en partie.

Jim Morrison : L'album nous a un peux échappé, la réalisation a pris trop de temps, presque neuf mois, et il nous a glissé entre les mains. Il n'y avait aucun, euh... un album doit être comme un recueil de nouvelles, tout doit tenir ensemble, il doit y avoir une unité de style et de sentiment, et c'est ce qui manque à cet album.

Êtes-vous heureux avec Elektra ?

Jim Morrison : Ouais, on a une super relation.

Je suis un fan d'Elektra. J'ai environ soixante-dix album produits par la compagnie.

Jim Morrison : Eh bien, c'est une grande société maintenant, et il sera intéressant de voir si la marque va progresser encore, ou si elle va être, d'une certaine manière, assimilée. Espérons qu'ils auront la chance d'éviter l'écueil du populaire, et qu'ils feront ce qu'ils savent faire le mieux, c'est-à-dire du classique, des trucs électronique expérimentaux, qu'ils donneront une nouvelle chance à ceux qui justement n'on pas eu la chance de réussir commercialement à leur époque. Peut-être qu'ils reviendront à ça.

Ce qui les a fait connaître en fait.

Jim Morrison : Je crois qu'avec nous c'est vraiment exceptionnel. Ils ne referont pas ça deux fois.

Jac Holzman vous a aperçus un soir qu'il était allé voir jouer les Love quelque part, non ? C'est l'histoire qu'on raconte.

Jim Morrison : C'est vrai. Ils avaient les Love, et quelqu'un qui était proche du groupe a amené quelqu'un d'autre pour nous voir jouer, et c'est... ouais, c'est exactement ce qui s'est passé. Love était à l'époque le groupe underground le plus populaire, et nous nous disions que, eh bien, s'ils étaient chez Elektra, c'est que c'était sûrement une bonne marque.

Et vous êtes devenus célèbres, au contraire de Love.

Jim Morrison : Ouais. Dans un sens, c'est vrai. Je pense que c'est triste pour Love, parce que c'était un groupe incroyable... eh bien, c'est vraiment Arthur Lee, j'imagine, parce que... encore que le premier groupe Love était un très, très grand groupe. Je ne crois pas qu'ils étaient prêts à voyager, et à faire tout ces numéros qu'il vous faut faire si vous voulez touchez un plus grand nombre de gens. S'ils avaient joué le jeu, je crois qu'ils auraient l'envergure des plus grands. Ce sera d'ailleurs sûrement le cas un jour.

Bien. Merci de m'avoir accordé un peux de votre temps.

Jim Morrison : Bonne chance.

Interview prise sur http://www.multimania.com/doors/